Économie

« L’austérité ne peut qu’aggraver la crise pendant de longues années »

Économie

par Olivier Vilain

Enseignant à l’Université du Texas, l’américain James K. Galbraith critique les politiques menées par son pays depuis Ronald Reagan. L’économiste promeut une nouvelle configuration du système financier afin de mettre un terme aux crises. Il propose, notamment, de délimiter le rôle et le secteur d’investissement de chaque banque, comme c’était le cas en France à la Libération, avec un « crédit agricole », un « crédit industriel et commercial », ou des « caisses d’épargne ».

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Le G20 a repoussé la lutte contre les paradis fiscaux et l’instauration d’une taxe sur les transactions financières aux calendes grecques . Ces deux mesures constituent-elles, pour vous, des priorités ?

Ce sont des chantiers qu’il faut bien sûr mener à bien, mais il faut aussi remettre en cause d’autres éléments. Par exemple, la réglementation du secteur bancaire en Europe a été modifiée ces dernières années. Le fameux code de conduites, appelé Bâle II, a permis aux établissements européens de prendre un niveau de risque aussi élevé qu’aux États-Unis. D’ailleurs, on compte nombre d’établissements financiers européens parmi les victimes de la crise des « subprimes ». Ensuite, après une période d’assouplissement des politiques en raison de la crise, l’Europe est revenue à « la théologie du chiffre », symbolisée par l’interdiction faite dans le Traité de Maastricht aux déficits publics de dépasser 3% de la richesse nationale.

Ce type d’objectif entraîne des dégâts considérables : l’austérité ne peut qu’aggraver la crise pendant de longues années. Les États-Unis en cela ont bien raison de ne pas suivre la voie européenne. Le niveau d’endettement des États n’a qu’une seule issue : il faut renégocier leurs dettes. Les banques doivent prendre leurs pertes, mais pour le moment, elles refusent de voir les dettes publiques renégociées comme pour l’Amérique latine à la fin des années 1990. Pendant ce temps, les banques gagnent 4% sur chaque prêt qu’elles accordent à un État grâce à la politique de taux faibles menée par la Banque Centrale Européenne. Je conseille à chacun de devenir banquier et de ne pas oublier de s’offrir un bonus.

Quelle réforme du secteur financier proposez—vous ?

Les États doivent prendre leurs responsabilités en matière bancaire car ils sont de fait engagés dans ce secteur, qu’ils le veuillent ou non. Pour prendre un seul exemple de leur implication : sans contrôle des États, personne ne placerait ses économies dans une banque. Il faut faire appel au principe de justice et mener des enquêtes pénales et civiles sur les dirigeants d’entreprises qui ont créé les hypothèques frauduleuses aux États-Unis. C’est d’ailleurs ce qui s’est fait lors de la précédente grande faillite américaine du secteur financier, celle des Caisses d’Épargne, appelées Saving & Loans, au début des années 1990. Cela permettrait de changer les dirigeants du système bancaire et des circuits financiers. Ensuite, il faut desserrer l’emprise dont disposent les banques sur le pouvoir politique, en particulier aux États-Unis. Nous pouvons pour cela nous inspirer des enseignements que nous offre l’histoire. Aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, la France avait institué de multiples banques dont la taille était clairement délimitée. En outre, cela permettait de leur assigner une mission spécifique : la Caisse des Dépôts finançait les infrastructures, le CIC le commerce et les entreprises, le Crédit agricole le monde paysan...

Pourquoi est-il si important de discipliner le monde de la finance ?

Une question est oubliée dans les médias américains et parmi la classe politique. Il s’agit de la cause de la crise. Celle-ci a été provoquée par une fraude financière massive, ce que j’appelle une véritable opération de « faux-monnayeurs ». Elle a été rendue possible par le retrait des autorités publiques. Un retrait qui a autorisé les activités financières les plus agressives sur le marché immobilier américain. Ainsi, est apparue une multitude de prêts hypothécaires frauduleux. Des institutions financières ont créé des millions d’hypothèques pour des Américains dont les revenus étaient trop faibles pour pouvoir normalement acquérir leur propre maison. Ces derniers étaient attirés par des remboursements bas durant les deux ou trois premières années. Mais, le poids de ceux-ci triplaient rapidement. Ces financements immobiliers frauduleux ont représenté jusqu’à 40% du marché des hypothèques aux États-Unis en 2006 et 2007.

Les producteurs de ces hypothèques savaient que ces Américains ne pourraient même pas faire face aux intérêts. Ensuite, ces hypothèques frauduleuses ont été revendues un peu partout, comme si elles étaient aussi sûres que les Bons émis par le Trésor des États-Unis. Et ce, alors qu’elles avaient une probabilité de 100% de perdre toute leur valeur. La crise a éclaté lorsqu’il est devenu clair que les prix des maisons ne pouvaient plus augmenter et que toutes les institutions financières étaient truffées de ces produits. Résultat, le système financier dans son ensemble s’est grippé.

Pourquoi la crise se répercute-t-elle désormais sur la dette publique des États européens, comme la Grèce ou l’Espagne ?

La crise n’est pas sur le point de se terminer, contrairement à ce que certains tentent de nous faire croire. Au contraire, elle s’aggrave puisque les investisseurs se sont retirés du marché immobilier américain pour se réfugier sur celui de la dette publique, notamment grecque. Il faut insister sur un point : les fameux « marchés financiers » ont toléré la « mauvaise gestion » grecque durant la période d’expansion de l’économie, puis ils ont sévi lorsque le cycle s’est inversé. Il vaut mieux se demander d’où vient ce monceau de dettes publiques ? Tout simplement de l’obligation devant laquelle se sont trouvés les pays de stabiliser leur économie en procédant à une hausse des dépenses publiques, conformément aux observations de Keynes, afin de garder la crise sous contrôle. Le problème, c’est évidemment que les États doivent dépenser plus alors que leurs recettes sont momentanément amputées par la chute de la croissance. Face à ce phénomène, les pays européens ont choisi de déclencher une vague d’austérité. Or, en l’absence de dépense publiques, les économies des deux côtés de l’Atlantique ne pourront donc pas revenir à la croissance puisque les dépenses privées ne prendront pas le relais.

Recueillis par Olivier Vilain