Pénibilité au travail

Pour financer les retraites, le gouvernement est-il prêt à laisser crever les salariés ?

Pénibilité au travail

par Ivan du Roy

Pas la peine de tourner autour du pot : avec des possibilités réduites de départ en retraite anticipée, le gouvernement compte-t-il sur la mort prématurée des salariés exerçant des métiers pénibles pour financer le système des retraites ? Pour les associations des accidentés de la vie et les victimes de l’amiante, cela semble être le cas.

« Injuste, inéquitable et de mauvaise foi », commentent l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) et l’Association des accidentés de la vie (Fnath), à propos du projet concocté par le ministre du Travail Éric Woerth [1].

Pour les salariés dont la santé s’est dégradée au travail, le dispositif de retraite anticipée se contente de constater d’éventuelles incapacités physiques. Première conséquence : « Il écarte les salariés qui ont été exposés à des produits cancérogènes et qui ont de ce fait une espérance de vie réduite, mais pas de traces physiques de cette atteinte. » Bref, si vous n’êtes pas sous chimiothérapie avant 60 ans parce que vous avez manipulé des matériaux amiantés, passé trente ans à enduire de goudron de charmantes routes de campagne, ou participé à l’épandage de milliers de litres de pesticides pour grossir les chiffres des exportations agricoles, vous ne pourrez bénéficier d’une compensation sous forme de retraite anticipée.

Ensuite, le dispositif n’est ouvert qu’aux salariés victimes d’une « incapacité permanente partielle » d’au moins 20%, liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Si vous êtes gêné par des douleurs récurrentes aux articulations ou que vous souffrez d’un mal de dos chronique suite à vos années passées derrière une caisse enregistreuse ou à assurer la manutention d’un entrepôt, ce ne sera pas suffisant. Il vous faudra continuer à vous gaver d’anti-douleurs pour continuer à bosser. Et courir le risque que votre organisme fatigué ne s’use définitivement, à moins de préférer le chômage… Sans oublier les « très nombreux salariés atteints de souffrances psychiques entraînées par le harcèlement ou par la dégradation de l’organisation du travail », dont l’état de santé est rarement reconnu comme maladies professionnelles. Eux pourront opter pour le suicide, cela permettra une double économie : à l’assurance maladie et à l’assurance vieillesse.

Espérance de vie

Enfin, le dispositif fonctionnera au cas par cas, sans reconnaître que certains métiers et activités sont réputés pénibles. Exit donc une liste de ces métiers physiquement difficiles, sur laquelle le patronat refuse de négocier depuis 2003. Prétexte invoqué par le gouvernement : répertorier ces métiers, de manière forcément non exhaustive, aurait créé des injustices pour des salariés pouvant exercer des activités difficiles dans des secteurs n’entrant pas dans la liste. « Plutôt que de créer de petites injustices, le gouvernement préfère en créer une énorme en excluant du dispositif un maximum de victimes du travail ! », critiquent les deux associations. « L’argument est d’une particulière mauvaise foi, d’autant qu’il est parfaitement possible, comme cela est préconisé dans le cas du dispositif amiante, de compléter une approche collective par une approche individuelle. » L’ouvrier du BTP ou le travailleur de nuit sont à égalité avec le cadre commercial ou le fonctionnaire d’une administration. Problème : ces derniers ont de grandes chances de vivre plus longtemps en bonne forme, donc de profiter de leur retraite.

On sait que l’espérance de vie varie fortement que l’on soit ouvrier ou cadre. Les premiers vivent entre sept et dix ans de moins que les seconds (pour les hommes), selon l’enquête Insee sur la santé et les soins médicaux. « Les ouvriers exposés à des toxiques meurent plus tôt que les autres salariés », rappellent l’Andeva et la Fnath. « Ils profitent donc moins de leur retraite. » Comble du cynisme, « leur mort prématurée permet de financer la retraite des autres catégories sociales déjà favorisées par leur espérance de vie. » Un ouvrier de l’industrie chimique qui cotise 41 ans pour mourir deux ou trois ans après son départ en retraite pourra au moins se réjouir des loisirs et voyages que les seniors plus chanceux pourront se payer grâce à sa contribution.

« Aucun pays au monde ne l’a fait », répète Éric Woerth à propos de sa réforme. On sait pourquoi.

Ivan du Roy

Notes

[1Dans un communiqué commun du 16 juin 2010