Santé virtuelle

La télémédecine, ou comment délocaliser la médecine générale

Santé virtuelle

par Mathieu Javaux

Consulter son médecin par écrans interposés ? Pour l’Élysée et le ministère de la Santé, la télémédecine serait l’avenir de la médecine. L’enjeu : permettre « l’égalité d’accès aux soins » pour tous face aux déserts médicaux qui s’étendent, sans faire l’effort de mieux répartir les praticiens. Problème : la télémédecine risque de déréguler tout le secteur des professionnels de santé et, demain, de délocaliser toubibs et pharmaciens. Après les centres d’appel de la « relation client », ceux de la « relation patient » ?

Pour une toux sèche, tapez 1, pour un état grippal, tapez 2, pour des douleurs musculaires, tapez 3, pour une migraine, tapez 4… « La télémédecine, c’est l’avenir », déclare Nicolas Sarkozy lors de ses vœux au personnel de la Santé, le 9 janvier 2009. « Nous allons développer les outils de télémédecine, qui peuvent apporter une réponse très efficace aux besoins des populations rurales. » La télémédecine est déjà utilisée : pour des échanges entre professionnels de santé ou lors de certaines interventions chirurgicales désormais assistées à distance. Ce qu’évoque Nicolas Sarkozy relève davantage de la téléconsultation : la consultation d’un patient par médecin via un écran interposé. Bienvenue dans l’ère de la « télésanté ».

« La télésanté n’est pas un sujet comme un autre mais le système qui, dans les années à venir, va transformer les pratiques médicales, voire la manière même dont nous concevons la santé », assurait Roseline Bachelot en novembre 2008. La télésanté constituerait-elle la solution-miracle au problème du désert médical qui gagne de nombreux territoires ? Ou le moyen de dissimuler l’incapacité des gouvernants à réglementer la répartition géographique des médecins ? Et ce malgré le code la Sécurité Sociale qui stipule que l’État « garantit l’accès effectif des assurés aux soins sur l’ensemble du territoire », et que les régimes d’assurance maladie, en partenariat avec les professionnels de santé, veillent « à la continuité, à la coordination et à la qualité des soins offerts aux assurés, ainsi qu’à la répartition territoriale homogène de cette offre ».

Délocaliser plutôt qu’organiser

Depuis soixante ans, les pharmaciens ne bénéficient pas de la liberté d’installation. Ils sont soumis à des contraintes de démographie et d’offre préexistante. Leur répartition sur le territoire est, malgré des améliorations possibles, beaucoup plus homogène que celle des médecins ou infirmiers. Lors des votes des deux derniers projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), les timides amendements visant à « réguler » la répartition médicale ont été systématiquement rejetés à la demande du gouvernement. Ce dogme de la « liberté d’installation » des médecins est de plus en plus inconcevable au vu des inégalités territoriales qu’il génère. Certains départements comptent jusqu’à 3,5 fois plus de médecins généralistes par habitant que d’autres. Libéral pour libéral, cette liberté d’installation se heurte par ailleurs au « libre choix » par le patient de son médecin.

Plutôt que d’abandonner le dogme de la liberté d’installation, le gouvernement préfère imaginer d’autres solutions pour faire face au problème croissant des déserts médicaux. Mais la réponse apportée, la télémédecine, n’a fait l’objet que de débats confidentiels. Les principales questions – risque de déshumanisation, sécurité et accessibilité des données transmises… – ne sont pas tranchées. La tarification de ce type d’acte est encore inconnue. À la demande du Président de la République et de Roseline Bachelot, un rapport parlementaire a été réalisé et publié fin 2009 sous l’égide du député UMP Pierre Labordes. Comme l’indique son intitulé, « La télésanté : un nouvel atout au service de notre bien-être », ce rapport vise à améliorer « l’acceptabilité » de la télésanté par la population et présente la télémédecine comme réponse à un besoin. Dans certaines zones, ce besoin est véritablement criant. Plusieurs mois sont nécessaires pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste pendant que les généralistes effectuent des journées de 14h ou refusent dorénavant de se déplacer à domicile. Précisons cependant que Pierre Labordes, député de l’Essonne, était directeur commercial de la société informatique Bull, spécialisée dans les systèmes d’information et le conseil aux collectivités territoriales, qui aurait tout intérêt à voir un tel marché se développer.

La télémédecine peut évidemment améliorer considérablement la coordination des soins et faciliter les échanges entre pairs. Mais le rapport n’évoque ni la relation entre patient et soignant, ni les limites pourtant évidentes d’une téléconsultation. « Les associations de patients ont souvent exprimé leurs craintes de voir la technologie de la télésanté se substituer au médecin », observent bien les auteurs du rapport. Mais ils n’apportent aucun élément rassurant vis-à-vis de ce risque. L’objectif central demeure la minimisation des coûts. Et voiler l’échec des pouvoirs publics concernant la répartition géographique des soignants.

Vers le diagnostic virtuel ?

Cet enthousiaste rapport comporte plusieurs oublis majeurs. La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie prévoit la mise en place du Dossier médical personnalisé dès 2007. Trois années après cette échéance, le dossier est toujours dans les limbes. Seule avancée, la création en 2009 de l’Agence des systèmes d’informations partagés de santé (ASIP) dont les perspectives restent floues. Mais aucune réponse n’a été apportée au problème de la sécurisation des données de santé et sur ce qui serait « partagé » ou non au sein d’un système d’information médical. Il semble donc anachronique de promouvoir la consultation à distance. Comment un médecin peut-il faire une consultation à distance s’il n’a pas accès au dossier du patient ? Difficile de considérer qu’un télédiagnostic soit de même qualité qu’in vivo.

Cette même loi de 2004 du bon docteur Douste-Blazy (qui instaurait la franchise à 1€ sur les consultations notamment) cassait la nécessaire présence physique entre le soignant et le soigné dans le cadre d’une consultation aboutissant à une prescription. Cet article est remplacé en 2009 par un amendement qui va encore plus loin : « La télémédecine (…) permet d’établir un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients » [1]. La définition des actes de télémédecine et les conditions de mise en œuvre et de prise en charge financière devant quant à elles être fixées… par décret. Et, bien sûr, « en tenant compte des déficiences de l’offre de soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique ».

Après le plombier polonais, le pharmacien colombien ?

Avant de dématérialiser le rapport entre médecin et patient, Roseline Bachelot souhaite-t-elle dématérialiser les pharmacies ? Elle vient de mettre en place un groupe de travail (en avril 2010) « pour pouvoir encadrer légalement la vente par des officines de médicaments sur Internet ». Et donc généraliser la vente par correspondance des médicaments sans ordonnance. Un système contestable qui existe déjà pour certains produits, sans aucun encadrement légal. Depuis plusieurs années, du matériel médical comme le « petit appareillage », les lentilles non prises en charge par la Sécurité sociale, des anabolisants ou du Viagra, sont couramment vendus sur Internet, y compris par des sites basés en France. Les lentilles, par exemple, sont souvent prises en charge par les mutuelles complémentaires et les assurances sur simple présentation de la facture Internet.

Les problèmes de contrefaçons, de surdosage, d’interactions médicamenteuses, d’absence de contrôle par les pouvoirs publics sont les dangers les plus visibles de cette « innovation ». Comment réglementer ces transactions ? Comment les pouvoirs publics s’assureront de la qualité des produits distribués ? Comment un professionnel de santé vérifiera l’absence de nocivité de la commande, même s’il s’agit de médicaments sans ordonnance ? Telles sont les questions auxquelles devra répondre ce groupe de travail. À moins que son objectif soit plus prosaïquement d’ouvrir la porte à la dérégulation prochaine et totale du secteur. Commander son aspirine au Bangladesh et contacter un centre d’appel médical pour consulter pas cher un toubib (dont vous ne saurez pas s’il est en Mayenne, au Maroc ou à Pondichéry), ce serait tellement tendance.

Mathieu Javaux

Notes

[1Article L6316-1