Effets d’annonce

Vers une véritable annulation des dettes africaines ou une simple suspension à rembourser plus tard ?

Effets d’annonce

par Collectif

Le 13 avril, Emmanuel Macron a annoncé vouloir « annuler massivement la dette » des pays africains. Pour l’instant, les pays du G20, dont la France, ont tout juste suspendu quelques remboursements. 200 organisations du monde entier demandent de véritables annulations des dettes pour permettre aux pays du Sud de faire face à la crise.

Dans le communiqué final des ministres des finances du G20 et des gouverneurs des Banques centrales du 15 avril, on ne trouve nulle trace de l’annonce d’Emmanuel Macron d’une « annulation massive des dettes africaines ». La suspension qui a été décidée est à la fois partielle et provisoire. Partielle parce qu’elle ne porte que sur 12,8 milliards d’euros du total de 30 milliards d’euros environ des remboursements attendus en 2020. Provisoire parce que cette suspension ne porte que sur les remboursements prévus cette année. Et ceux-ci ne sont pas annulés mais seulement suspendus : ils devront être payés en 2022, échelonnés sur trois ans et des intérêts plus élevés pourront être demandés.

La bouffée d’oxygène à très court terme offerte par les pays du G20 risque donc de s’accompagner d’une aggravation du poids de la dette à moyen terme. Par leurs refus d’annuler purement et simplement tout ou partie de la dette des pays pauvres, les institutions financières internationales et les pays riches sont en train de leur concocter un avenir de dettes et de plans d’ajustements structurels.

Ce n’est pas une fatalité. « La question de l’annulation se reposera inévitablement, dans la mesure où la situation économique des pays concernés pâtira de la présente crise pendant encore longtemps », explique Fanny Gallois, coordinatrice de la Plateforme Dette et Développement. Plus de 200 organisations du monde entier appellent dans une déclaration à « un jubilé de la dette pour lutter contre la crise sanitaire et économique du Covid-19 » et exigent des mesures d’une ampleur bien plus importante : l’annulation de tous les paiements de dette extérieure en 2020 et des financements additionnels d’urgence qui ne créent pas de nouvelles dettes. Voici leur déclaration.


Nous, organisations de la société civile, conscientes des graves répercussions des crises sanitaires, sociales et économiques engendrées par la pandémie mondiale de Covid-19, sur des centaines de millions de personnes dans les pays du Sud, demandons instamment :

 L’annulation de tous les paiements de dette extérieure en 2020

 Des financements additionnels d’urgence qui ne créent pas de nouvelles dettes.

L’ensemble des paiements de la dette extérieure souveraine – principal, intérêts et autres frais compris - échus en 2020 devraient être définitivement annulés, sans report ni accumulation de frais d’aucune sorte. L’annulation de la dette est le moyen le plus rapide de libérer des ressources déjà présentes dans les pays, pour faire face dans l’urgence aux crises sanitaires, sociales et économiques résultant de la pandémie mondiale de Covid-19.

Mettre en œuvre l’annulation des paiements de la dette

Les États emprunteurs ont le pouvoir de cesser de rembourser leur dette, et ne devraient pas encourir de pénalités s’ils recourent à cette mesure. Tous les prêteurs devraient donc accepter l’annulation immédiate des paiements des dettes venant à échéance en 2020, sans accumulation d’intérêts et de charges et sans pénalités.

En l’absence d’une annulation de dette globale convenue dans un cadre multilatéral, les prêteurs devraient prendre les mesures suivantes :

 Les institutions multilatérales, y compris le FMI et la Banque mondiale, devraient proposer une annulation immédiate de tous les paiements de dettes (principal, intérêts et charges compris) échus en 2020, pour tous les pays dans le besoin, et en toute urgence, pour tous les pays éligibles aux ressources du fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (RPC) du FMI et de l’Association internationale de développement (AID) de la Banque mondiale.

 Le FMI et la Banque mondiale devraient exhorter tout pays qui cesse de rembourser sa dette multilatérale et /ou bilatérale à annuler également les remboursements aux prêteurs extérieurs privés. Tout nouveau financement du FMI et de la Banque mondiale devrait se faire sous forme de subvention et non de prêt et devrait exiger des autres prêteurs qu’ils rééchelonnent leur créance lorsque la viabilité de la dette est incertaine, ou la restructurent lorsque la dette est insoutenable [1]. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra s’assurer que les subventions sont utilisées pour financer les politiques publiques en réponse à la crise du COVID-19, et non à rembourser d’autres prêteurs.

 Les États prêteurs membres du Club de Paris ainsi que les non-membres (tels que la Chine, l’Arabie saoudite ou le Koweït), devraient annuler tous les paiements de dettes (principal, intérêts et autres frais compris) échus en 2020, pour tous les pays dans le besoin, en toute urgence, pour tous les pays éligibles aux ressources du fonds RPC et de l’AID. Idéalement, les États prêteurs devraient se coordonner pour procéder à une annulation globale de la dette. Les États prêteurs ne devraient toutefois pas attendre d’être tous d’accord pour procéder à de telles annulations.

 Le G20 devrait soutenir les mesures prises par tout État pour cesser de rembourser la dette aux prêteurs extérieurs privés.

 Les juridictions clés, en particulier celles du Royaume-Uni et de New York, devraient légiférer pour empêcher tout prêteur de poursuivre un État ayant cessé de payer sa dette en 2020.

 Les annulations de dettes et les financements additionnels devraient être exempts de conditionnalités favorisant les privatisations, la dérégulation et la libéralisation des échanges. La crise a été provoquée par des chocs exogènes, sur lesquels les pays du Sud n’avaient aucun contrôle.

 Les annulations de dettes et les financements additionnels devraient être conçus spécifiquement pour soutenir les dépenses publiques visant à protéger les droits et les besoins des populations, en particulier pour maintenir et augmenter les dépenses de protection sociale et de santé en réponse à la crise de COVID-19 et pour garantir que les allègements bénéficient directement à ceux qui en ont besoin.

Résoudre la crise de la dette

De nombreux pays étaient en crise de la dette avant le début de la crise de Covid-19. Beaucoup d’autres sortiront de cette crise avec des dettes insoutenables encore plus élevées. L’annulation immédiate des dettes devrait donc être associée à des mesures globales et de long terme pour le règlement de la crise de la dette. À ce titre, pour une restructuration de la dette plus efficace et plus équitable, nous demandons :

 La création sous l’égide des Nations unies, d’un processus systématique, complet et exécutoire de restructuration de la dette souveraine [2].

 Que le FMI introduise des directives claires pour décider de quand une dette devient insoutenable, et qu’il respecte la règle qu’il s’est donnée de ne prêter aux États dont la dette est jugée insoutenable qu’en cas de défaut ou de restructuration de sa dette [3].

Un processus prévoyant la mise en œuvre de ces demandes doit être organisé avant fin 2020.

Les impacts de la pandémie de Covid-19

La crise mondiale de Covid-19 a entraîné la baisse du prix des matières premières ; une augmentation des taux d’intérêts pour les États du Sud et a contribué à la plus importante fuite de capitaux jamais enregistrée dans les pays en développement. Les recettes publiques sont inévitablement condamnées à diminuer tandis que le coût de la dette augmentera, et alors même que les États touchés seront appelés à développer les soins de santé et la protection sociale en réponse à la crise.

La dette des pays en développement était déjà l’objet d’une vulnérabilité accrue, et son coût était déjà en augmentation avant l’arrivée de Covid-19. L’ampleur de la crise de santé publique et le besoin de réponses politiques rapides justifient que les ressources vitales des États soient orientées d’urgence vers les besoins des populations, plutôt qu’affectées au remboursement des prêteurs. L’avancée de la pandémie de Covid-19 jusqu’à présent montre que le temps joue un rôle clé. Les États doivent disposer dès aujourd’hui des ressources nécessaires pour prendre des mesures décisives. Plus on attend, plus la pandémie sera difficile à maîtriser et plus les dommages économiques seront élevés, en particulier pour les pays emprunteurs.

Nous estimons que l’annulation des dettes extérieures en 2020 pour 69 pays [4] classés par le FMI comme pays à faible revenu et pour lesquels des données sont disponibles, permettrait d’économiser 19,5 milliards de dollars en paiements de dette extérieure aux prêteurs bilatéraux et multilatéraux, et 6 milliards de dollars en paiements de dette extérieure aux prêteurs privés. Si cette annulation était étendue à 2021, elle permettrait d’économiser 18,7 milliards de dollars supplémentaires en paiements multilatéraux et bilatéraux et 6,2 milliards de dollars en paiements externes aux prêteurs privés [5].

Soutiens en faveur d’une annulation de la dette

 Les ministres africains des Finances ont appelé à une suspension de tous les paiements d’intérêts en 2020 et de tous les paiements de principal et d’intérêts par les États fragiles [6].
 Le FMI et la Banque mondiale ont appelé à la suspension de tous les paiements de dette des pays les plus pauvres aux autres États.
 Le Secrétaire général des Nations unies a appelé à une restructuration de la dette, y compris des exonérations sur les paiements des intérêts de la dette en 2020.
 Le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, a demandé l’annulation de la dette de son pays et d’autres pays vulnérables.
 Le Congrès équatorien a appelé le gouvernement à suspendre le paiement de sa dette .
 Début mars, le Liban a fait défaut sur les paiements de sa dette extérieure privée et a annoncé qu’il cesserait de payer toutes les obligations en devises.
 Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali a appelé à l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres, et la transformation du reliquat en emprunts à long terme, avec un faible taux d’intérêt, et dont le remboursement ne démarrerait qu’au terme d’une « période de grâce » de 10 ans. Il a également appelé à limiter le paiement de la dette à 10% des exportations.


 Retrouvez la déclaration en intégralité sur le site Jubileedebt.org

 Voir la liste des organisations signataires de l’Appel à l’annulation de la dette des pays du Sud sur la plateforme Dette et Développement

Notes

[1Selon les règles du FMI, si la dette d’un État est jugée insoutenable, une restructuration complète ou un défaut sur la dette doivent être décidés au cours d’un programme de prêt. Une restructuration est une modification des termes de la dette qui réduit le montant du remboursement que le prêteur va percevoir. Si la viabilité de la dette est jugée incertaine, un rééchelonnement doit être décidé. Celui-ci reporte la date des paiements de dette à plus tard, afin que les prêteurs se soient pas de fait remboursés par les prêts du FMI.

[3Pour en savoir plus sur cette règle, voir ici

[4Ce ne sont pas les seuls pays qui ont besoin d’une annulation de leur dette. Comme le définit le FMI, la catégorie des économies à faible revenu comprend 59 pays éligibles aux financements concessionnels des institutions financières internationales, 13 petits États à revenu intermédiaire et quatre pays qui ont accédé à l’éligibilité depuis 2010.

[5Eurodad, « A debt moratorium for Low Income Economies », Eurodad cost assessment a debt moratorium to tackle the COVID-19 crisis. Source

[6Voir ici