Démocratie ?

Vote par Internet : les élections législatives à haut risque débutent

Démocratie ?

par Agnès Rousseaux

Du 23 au 29 mai, 700 000 Français de l’étranger vont voter pour le premier tour des législatives par Internet. Malgré l’opacité du processus, les risques de manquement à la sécurité et à l’intégrité du scrutin, c’est dans la plus grande indifférence des partis politiques et des médias dominants que s’opère cette grave atteinte à l’exercice démocratique des citoyens.

Le 23 mai, pour la première fois en France, 700 000 électeurs vont pouvoir voter par Internet, pour les élections législatives. Un million de « Français établis hors de France » sont appelés à élire 11 députés, et deux tiers d’entre eux ont la possibilité de voter par voie électronique. Le scrutin du premier tour s’ouvre aujourd’hui et durera une semaine. Ce, malgré les failles d’un système électoral dont la sécurité pose de nombreuses questions (voir notre enquête) ! L’urne électronique a été mise en place, dans l’indifférence générale, alors même que beaucoup d’informaticiens alertent sur les possibilités de fraudes ou de bugs de ce système, vulnérable aux attaques informatiques. Les pouvoirs publics vont pour la première fois confier un processus électoral national à des entreprises privées, dans la plus grande opacité, alors que les conflits d’intérêts sont nombreux et évidents.

Les opérations de vote par Internet sont supervisées par un bureau de vote électronique (BVE). Le bureau de vote le plus important de France ! Équivalent, en nombre d’électeurs inscrits, à ceux des villes de Lyon, Toulouse et Nice réunies, souligne le Parti pirate, qui pointe les « insuffisances graves » du processus choisi. « Sur le territoire français, chaque bureau de vote physique comprend en général environ 1 000 électeurs inscrits et est tenu par un président, deux assesseurs et un secrétaire. Pour le BVE qui contrôlera les opérations de vote de 700 000 électeurs, la réglementation a prévu seulement 7 titulaires (4 fonctionnaires d’État et 3 élus de l’Assemblée de Français de l’étranger) », s’étonne celui-ci (voir la liste des titulaires). Le ministère de l’Intérieur préconise pourtant de ne pas « excéder le nombre de 800 à 1 000 électeurs inscrits par bureau »...

Opacité totale du processus électoral

Ce bureau de vote électronique ne suscite pourtant pas beaucoup d’intérêt de la part des partis politiques. Chaque candidat pouvait envoyer un délégué assister à la clôture officielle de l’urne électronique, vendredi 18 mai, et vérifier les opérations. Mais sur 178 candidats, seuls… 5 ont fait cette démarche (4 du Parti pirate et un du Front de gauche). Ce qu’ils ont observé ne les a pas rassurés sur la sécurité et l’intégrité du scrutin : « La génération des clefs électroniques permettant l’ouverture de l’urne à l’issue du scrutin a eu lieu avec des outils informatiques dont l’intégrité n’était pas garantie », détaille le Parti pirate dans un communiqué. « Par ailleurs, les clefs, censées être uniques et soumises à la garde des titulaires du bureau de vote, pourraient être dupliquées par toute personne ayant accès aux ordinateurs ayant permis leur génération, ces matériels n’ayant pas été correctement nettoyés devant les membres du bureau de vote. »

« Nous avons assisté à un cérémonial mis en scène pour donner une impression de sécurité et rassurer les officiels, alors qu’il y a une opacité totale des points clefs », estime Philippe Blanc, un des délégués du Parti pirate. Ceux-ci n’ont pas eu le droit d’accéder au code source du programme permettant le vote électronique. Car il appartient à l’entreprise espagnole Scytl, et est soumis au secret industriel… « Les trois élus du bureau de vote ont observé les éléments visibles lors de la cérémonie. Mais ils ne peuvent en rien attester des processus dématérialisés, dont la fiabilité repose totalement sur la parole des prestataires, techniciens venant d’entreprises privées », précise Mathilde Cameirao, déléguée du Parti pirate. Un processus électoral totalement privatisé ! Cinq entreprises sont impliquées dans le processus, pour fournir le logiciel de vote (Scytl), piloter le projet et « héberger la solution » de vote électronique (Atos, présidée par Thierry Breton, ancien ministre), gérer l’édition des documents (Koba), ou l’envoi – par SMS et par courriel – des identifiants et mots de passe permettant de voter (Gedicom). Une dernière entreprise (Alti) étant en charge de mener une « expertise indépendante » sur le système.

Les expériences récentes de vote par Internet se sont révélées être des fiascos en termes de sécurité des données. Des failles de sécurité ont déjà été décelées par des informaticiens dans le système mis en place pour ces élections législatives. Autant d’éléments venant confirmer les avertissements de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui estimait en 2010 « que les systèmes de vote existants ne fournissaient pas encore toutes les garanties exigées par les textes légaux ». Avec un risque de divulgation des opinions politiques des électeurs ou de manipulation de leur droit de vote, en cas de faille dans le système. Mais qu’importe ! Onze députés vont être désignés par un processus électoral sur lequel les citoyens n’ont aucune prise. Avec aucun moyen de vérifier la fiabilité et la sincérité des résultats. Pendant que les pouvoirs publics ignorent les critiques et les risques, les partis politiques semblent désemparés, voire totalement déconnectés de cette question.

Agnès Rousseaux

Lire notre enquête : Législatives : de graves menaces de fraudes planent sur le vote par Internet.

Le Parti pirate lance un appel à témoignages pour le procès-verbal du bureau de vote électronique.