Imbroglio

Des militants de la paix accusés de terrorisme par le ministère de l’Intérieur

Imbroglio

par Sophie Chapelle

« C’est une opération de communication », dénonce Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, le 17 décembre [1]. « Il faut rétablir la vérité sur ce qui s’est passé. » La veille, le 16 décembre au soir, une vaste opération policière franco-espagnole est menée dans une maison de Louhossoa, dans les Pyrénées-Atlantiques. Selon le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux, cinq « individus en relation avec l’organisation terroriste basque ETA » sont interpellés. Au cours de la perquisition, « une importante saisie d’armes, d’explosifs et de munitions » a été réalisée indique le ministère. Qui se félicite que « cette opération constitue un nouveau coup dur porté à l’ETA » [2].

Sauf que derrière les « individus » en relation avec une organisation terroriste selon le ministère de l’intérieur, se profilent des figures de proue des mobilisations pacifiques et citoyennes, parmi lesquelles Jean-Noël Etcheverry (dit « Txetx », co-fondateur des mouvements Bizi ! et Alternatiba notamment) et Michel Berhocoirigoin (ancien président de la Chambre d’agriculture alternative du Pays Basque) [3]. Que faisaient ces militants, journaliste et vidéaste à proximité d’un stock d’armes ? Le 26 octobre dernier, Michel Tubiana, Txetx Etcheverry et Michel Berhocoirigoin publient sur le site Mediabask une lettre précisant leur intention. Après avoir rappelé qu’ils n’ont « aucun lien ni subordination avec l’ETA », ils déclarent avoir décidé « d’enclencher le processus de désarmement de l’organisation armée, et de procéder à la destruction d’un premier stock d’armes [correspondant] à environ 15% de l’arsenal mis sous scellé de l’ETA. » Tous trois justifient leur action par leur volonté de « contribuer à un avenir sans violence et démocratique pour le Pays Basque ».

« Enclencher de manière symbolique le processus de désarmement de l’ETA »

Pour comprendre cette action, il faut revenir cinq ans en arrière. En octobre 2011, l’ETA déclare publiquement l’arrêt définitif de toute action armée. « Depuis cette date, l’organisation armée, responsable de la mort de plusieurs centaines de personnes depuis sa création en 1959 et figurant sur la liste noire des organisations terroristes de l’Union européenne, n’a plus commis le moindre attentat et a démantelé ses structures opérationnelles », rappelle Mediapart. En revanche, l’ouverture d’un dialogue entre l’ETA et les gouvernements français et espagnol traitant exclusivement des conséquences du conflit, fait l’objet de blocage. « Les observateurs y voient notamment la main de Madrid, qui refuse entre autres de s’engager dans une politique carcérale plus souple pour les prisonniers de l’ETA. »

Face à l’échec de ces négociations, des acteurs de la société civile se saisissent de la question. « Chacun doit prendre ses responsabilités pour que le processus de paix aille jusqu’à son terme, précise la lettre co-signée par Michel Tubiana, Txetx Etcheverry et Michel Berhocoirigoin. La responsabilité d’une paix juste et durable est entre les mains de chacun. » Selon Michel Tubiana, cette action était une manière « d’enclencher de manière symbolique le processus de désarmement de l’ETA ». Bruno Le Roux affirme de son côté que « personne n’a le droit de se proclamer destructeur d’armes ». « En matière de terrorisme, toutes les preuves doivent pouvoir concourir à la justice », insiste t-il.

Soutien de la classe politique aux personnes interpellées

Au lendemain des arrestations, quelque 4 000 personnes se sont rassemblées à Bayonne pour demander la libération des gardés à vue [4]. Des élus, toutes couleurs politiques confondues, ont manifesté leur soutien aux personnes interpellés. « Depuis cinq ans, les États refusent tout processus de paix, dénonce le maire UDI de Bayonne, Jean-René Etchegaray, dans Le Monde. Les faiseurs de paix qui ont été arrêtés hier sont traités comme des criminels alors qu’ils essaient de tendre des ponts. » La sénatrice socialiste Frédérique Espagnac, proche de François Hollande, la députée Colette Capdevielle, vice-présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, ou bien encore le vice-président LR du département Max Brisson, condamnent à l’unisson ces arrestations. Le parti de la gauche européenne apporte également son soutien aux gardés à vue.

Dans un communiqué, le groupe Europe Ecologie - Les Verts « regrette vivement la confusion gouvernementale, qui camoufle une malheureuse opération de communication en opération anti-terroriste, et la manipulation du Parquet et des forces de police à des fins de pure propagande ». « En fait d’opération terroriste, les personnes arrêtées sont des personnalités connues pour leur pacifisme et leur attachement à la paix au Pays basque et ne sont en rien rattachées à ETA. Elles étaient réunies pour initier le désarmement d’ETA, et ultérieurement remettre les armes aux autorités françaises », écrit le parti écologiste. Une pétition en ligne, appuyée par plusieurs organisations de la société civile – Attac, les Amis de la Terre, Confédération paysanne... – demande « la libération immédiate des artisans de la paix ».

Les cinq personnes interpellées doivent être transférées de Bayonne au Parquet antiterroriste à Paris ce 19 décembre. Une enquête préliminaire a été ouverte avec les qualifications « d’association de malfaiteurs terroriste et infractions sur la législation sur les armes et les explosifs en bande organisée, le tout en relation avec une entreprise terroriste ». La situation vire à l’imbroglio le plus complet.

[Mise à jour le 20 décembre à 18h30] Les cinq personnes interpellées quittent le palais de justice. Elles sont placées sous contrôle judiciaire. La qualification d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste a été abandonnée. Toutes sont mises en examen pour « port, transport et détention d’armes, de munitions et de produits explosifs, en relation avec une entreprise terroriste ».

Sophie Chapelle

Notes

[1Voir cet article du Monde

[2Voir cet article de Mediapart

[3Les trois autres personnes interpellées sont : Michel Bergougnian (coopérateur viticole dans l’appellation basque Irouléguy), la journaliste Béatrice Haran-Molle, et un vidéaste, Stéphane Etchegaray.

[4Voir cet article du Monde