Santé au travail

Un projet de recherche sur l’exposition aux pesticides censuré par le gouvernement ?

Santé au travail

par Nolwenn Weiler

Les projets de recherche s’intéressant à l’exposition aux pesticides des salariés inquiètent-ils le gouvernement ? C’est l’interrogation d’une équipe de chercheurs – sociologues, géographes, médecins du travail, oncologues, généralistes, assistante sociale – qui vient de se voir refuser le financement d’une étude sur le sujet [1]. Leur recherche vise à étudier les parcours professionnels et résidentiels de patients de l’hôpital d’Avignon atteints de lymphomes, leucémies et myélomes, autant de formes de cancers qui pourraient être provoqués par une forte exposition aux pesticides. Plusieurs de ces patients sont travailleurs agricoles dans le Vaucluse où les vignobles, vergers et maraîchages sont souvent traités aux pesticides.

Présenté en juillet 2016, le programme de recherche a d’abord été classé comme prioritaire... avant d’être rejeté, sans plus d’explication. « Le rejet de notre projet nous a été signifié le 28 septembre 2016 par un message électronique circulaire émanant du secrétariat permanent du plan Ecophyto, message non signé et sans motif spécifique de refus » , regrettent les chercheurs dans un courrier adressé en début de semaine aux ministres Stéphane Le Foll, Ségolène Royal, Marisol Touraine, Myriam El Khomri et Najat Vallaud-Belkacem. Le plan Ecophyto, lancé il y a huit ans et piloté par le ministère de l’Agriculture, vise à réduire l’usage des pesticides. Ce plan est pour l’instant un échec, se heurtant notamment à l’hostilité de la FNSEA.

 Lire : Pourquoi tous les gouvernements échouent à réduire la présence des pesticides

« Avec ce projet, notre équipe de recherche répond à une demande sociale cruciale, et jusqu’à présent non prise en compte en santé publique, celle de la mise en visibilité des pathologies liées aux pesticides (cancers, d’atteintes reproductives et neurologiques) », ajoutent les chercheurs. Ils mentionnent par ailleurs divers rapports gouvernementaux qui, tous, insistent sur l’urgence d’une meilleure connaissance des conditions d’exposition aux pesticides en milieu de travail [2]. « Cette décision nous a surpris d’autant plus que le document de synthèse du ministère de l’Agriculture adressé fin août à l’association Phyto-victimes indiquait que les moyens financiers alloués à cet appel à projets étaient suffisants pour financer tous les projets classés « priorité 1 », écrivent les chercheurs. Et que dans les deux scenarii financiers proposés, notre projet était financé dans son intégralité. »

« D’une façon générale, les raisons justifiant le refus d’un projet ont pu être les suivantes », cite le message électronique annonçant le refus de financement, avant de lister une série d’explications très générales : enveloppe financière insuffisante, autres projets jugés plus prioritaires, impacts prévisibles du projet pas suffisamment détaillés, projet jugé non abouti ou non finalisé. L’équipe de chercheurs, qui rappelle qu’un tel dépôt de projet demande énormément de travail, exige des réponses plus circonstanciées : « Quelles ont été les modalités d’examen des dossiers ? Par
qui ? Selon quels critères ? Quels sont les projets retenus ? Comment ont été opérés les choix d’attribution budgétaire à chacun d’entre eux ? »

« En l’absence de toute justification scientifique précise des raisons de ce refus, celui-ci nous apparaît comme une décision de nature politique qui, malheureusement, contribue au maintien de l’invisibilité des maladies liées à l’exposition professionnelle et environnementale aux pesticides » , interprètent les chercheurs, qui n’hésitent pas à parler de « censure » et « d’opacité » dans les choix de financement de la recherche en santé publique.

Notes

[1Notamment Borhane Slama (Médecin, praticien hospitalier, chef du service
d’Oncologie-Hématologie, Centre Hospitalier d’Avignon), Moritz Hunsmann (Chargé de recherche CNRS, Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux Sociaux, Paris), Annie Thébaud-Mony (Directrice de recherche honoraire Inserm) ou Paul Bouffartigue (Directeur de recherche CNRS, Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail, Aix-en-Provence).

[2Rapport Inserm de 2013, Plans Santé-Travail III et Santé- Environnement III adoptés en 2015, rapport d’expertise collective de l’Anses publié en juillet 2016.