Afghanistan

Toujours plus d’argent pour la guerre, pas pour la paix

Afghanistan

Les soldats français sont-ils morts pour rien ? Pendant que des dizaines de millions de dollars sont chaque jour dépensés par l’Occident pour faire la guerre, le développement du pays se fait attendre.

Les députés débattront de la présence militaire française en Afghanistan le 22 septembre. La guerre qu’y mènent les Etats-Unis et l’Otan contre l’insurrection taliban et les attaques de groupes armés liés à Al-Quaida semble sans fin. La présence de troupes étrangères en Afghanistan pour maintenir la sécurité, et non pour livrer une guerre totale, n’est justifiable - provisoirement - qu’à une seule condition : que la communauté internationale se donne les moyens de reconstruire un Etat afghan - avec des institutions, des infrastructures et une administration adaptée - et de fournir à l’ensemble de la population des perspectives en matière de développement. C’est le seul moyen de marginaliser durablement la guérilla intégriste et d’initier le départ du corps expéditionnaire de l’Otan et de l’Onu. Or c’est là que le bât blesse.

La priorité est largement donnée aux opérations militaires. Deux chiffres résument ce déséquilibre : depuis 2001, les Etats-Unis ont dépensé en moyenne 100 millions de dollars par jour pour la guerre en Afghanistan pendant que l’ensemble de l’aide internationale atteint péniblement les 7 millions de dollars par jour, selon l’étude menée par l’organisation non gouvernementale Oxfam International, « Aid effectiveness in Afghanistan », et publiée avant l’été (lire le rapport).

Facture guerrière en hausse

Côté français, ce déséquilibre est encore plus flagrant. Le maintien de paras, légionnaires, artilleurs et pilotes coûtait en 2007 environ 170 millions d’euros. L’envoi des renforts, décidé par l’Elysée, devrait augmenter la facture d’au moins 100 millions annuels. Pendant ce temps, la France aide l’Etat afghan à hauteur de dix millions d’euros en moyenne par an sur la période 2002-2011. Soit vingt-sept fois moins que le financement de la guerre. Dans ces conditions, on peut se demander si les dix soldats français tués lors de l’embuscade du 18 août ne sont pas morts pour rien. Ainsi que le petit millier de militaires de l’ISAF (Force internationale de sécurité et d’assistance) tués depuis 2001. Surtout quand ces opérations se traduisent par des massacres de civils, comme le bombardement d’un village par l’Otan le 21 août, qui a tué 90 civils, dont 60 enfants entre 3 mois et 16 ans, selon les enquêteurs de l’Onu qui se sont rendus sur place. Des carnages qui renforcent le ressentiment de l’ensemble de la population contre la présence étrangère.

Les députés devront s’interroger sur la réalité et l’efficacité de l’aide financière déversée en Afghanistan. 25 milliards de dollars avaient été promis en 2001, suite à la défaite militaire du régime taliban. Seuls 15 milliards ont été effectivement dépensés. Petit contributeur financier, comparé à l’Allemagne ou au Canada, et derrière l’Italie, la Norvège, ou même l’Iran et la Russie, la France a au moins le mérite d’avoir déboursé les trois quarts de la somme promise. Ce qui n’est pas le cas d’autres nations, comme l’Espagne, qui n’a versé que 10% du montant annoncé, des Etats-Unis (22%), de la Banque mondiale (32%) ou de l’Arabie Saoudite (35%). Reste à mesurer l’efficacité de cette manne financière. L’Agence française de développement (AFD), présente dans le pays depuis 2004, soutient par exemple la relance de la filière cotonnière et la réhabilitation du système de transfusion sanguine. Entre les budgets affichés et les sommes qui arrivent concrètement sur place, il peut y avoir un fossé.

Détournements de l’aide internationale

Le rapport publié par Oxfam International estime que 40% de l’aide internationale revient de fait chez les pays donateurs sous forme de contrats passés avec des entreprises occidentales, de commissions versées à des sous-traitants, de projets surfacturés - comme la construction de certaines routes - ou de salaires alloués à des consultants privés étrangers, qui peut atteindre le demi million de dollars annuel. La reconstruction de la maternité de l’hôpital Khair Khana de Kaboul, financée par le Fonds des Nations Unis pour la population et le gouvernement italien est un exemple de cette déperdition. Le projet a été sous-traité par un autre bureau de l’Onu qui a lui-même mandaté une organisation italienne qui a ensuite missionné une entreprise de construction afghane. Résultat : c’est moins de la moitié du budget initial de 2.2 millions de dollars qui est réellement arrivé sur le terrain. Il y a là matière à enquête pour les députés.

Ce débat ne devra pas se cantonner au Parlement français. Il concerne toute l’Union européenne. Avec un budget d’environ 1.8 milliards d’euros prévu entre 2001 et 2010, la Commission de Bruxelles est le deuxième bailleur de fonds de l’Afghanistan, derrière les Etats-Unis, devant la Banque mondiale et les aides bilatérales japonaise, britannique et allemande. Mais seule une très faible proportion de l’aide européenne est consacrée à des secteurs clés : 1% pour l’accès à l’eau potable, à peine 2% à l’agriculture dans un pays où 80% de la population est rurale, 3% pour les services sociaux, 4% en matière de santé... Pendant ce temps, le gouvernement et les institutions, pour se mettre en place, se voient allouer près de 40% de l’aide, dans un pays où la corruption est endémique. Tant que la construction de la paix ne sera pas correctement financée, les soldats étrangers en Afghanistan continueront de mourrir pour rien.

Ivan du Roy