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Taxe Nutella : gouvernement et députés reculent devant l’OMC

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par Maxime Combes

Vous souvenez-vous de la « taxe Nutella » ? Elle visait à décourager l’importation et la consommation d’huile de palme, en raison de ses effets sur la santé et du terrible impact de sa production dans les pays du Sud (voir notre enquête). Des motifs qui ont conduit le Sénat à réintroduire une taxe supplémentaire sur l’huile de palme, en première lecture du projet de loi sur la biodiversité. Cette taxe devait être progressive : de 300 euros la tonne en 2017, elle atteindra 900 euros en 2020. Coup de théâtre ce 17 mars à l’Assemblée nationale : la taxe supplémentaire a finalement été réduite à 90 euros la tonne, avec l’accord du gouvernement. Une décision qui intervient alors que l’Indonésie venait d’annoncer vouloir porter l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Craintes de mesures de rétorsion

Que s’est-il passé entre le vote au Sénat, le 21 janvier, et le vote à l’Assemblée nationale, ce 17 mars ? Plusieurs médias rapportent les inquiétudes, les critiques ou la colère des pays producteurs comme l’Indonésie et la Malaisie qui ont respectivement exporté 100 000 et 11 000 tonnes d’huile de palme vers la France en 2015. Déjà en 2013, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, s’était engagé, lors d’une visite en Malaisie, à « enterrer » la taxe Nutella. « La France n’est pas hostile à l’huile de palme », déclarait-il. A moins d’un mois de la visite en Europe du Président indonésien Joko Widodo, le gouvernement et les parlementaires ont jugé bon de rassurer les pays exportateurs.

Mais ce n’est pas tout. Cela fait plusieurs semaines que le gouvernement indonésien a fait savoir qu’il porterait l’affaire devant l’OMC, si l’amendement introduit au Sénat devait être confirmé. « C’est ce qui est prévu » confirme un officiel indonésien dans le quotidien Jakarta Post. Le gouvernement indonésien menace de poursuivre la France devant l’Organisme des règlements des différends de l’OMC, qui statue lors de litiges entre les pays, pour une mesure qui a toutes les chances d’être assimilée à une « discrimination commerciale arbitraire et injustifiée ».

Volte-face des députés et du gouvernement

Tripler le prix de la tonne d’huile de palme (environ 550 euros) avec une taxe pouvant grimper jusqu’à 900 euros revient de facto à boycotter les produits qui en sont composés. L’OMC prévoit la possibilité d’introduire des mesures de « protection de l’environnement » ou visant à « protéger la vie ou la santé humaine » (article 20 du GATT). Mais il revient aux pays initiateurs de montrer que leurs actions ne causeront pas une « discrimination arbitraire ou injustifiable » ou ne constitueront pas une « restriction déguisée au commerce international ». A un tel niveau de taxation, l’État français aurait eu de grandes difficultés pour se justifier.

L’introduction de cette taxe visait à réduire drastiquement la consommation – et donc l’importation – d’huile de palme sur le territoire national. Un motif pouvant s’apparenter à un boycott au regard des règles de l’OMC. De plus, les taxes aux frontières, en tant que droits de douane, relèvent de la compétence unique de l’Union européenne et ne peuvent être individualisés par pays membre de l’UE. Ce qui explique la volte-face des députés et du gouvernement. Barbara Pompili, secrétaire d’État à la Biodiversité, et ancienne députée écologiste, n’a-t-elle pas affirmé qu’elle ne voulait pas d’un « boycott de ces deux pays, ni même de l’huile de palme »...

Quand le commerce l’emporte sur l’environnement

Au final, l’huile de palme sera taxée au même niveau que l’huile d’olive, soit environ 190 euros la tonne. La taxe supplémentaire a été circonscrite à son usage alimentaire, en excluant les cosmétiques et les agrocarburants (voir notre article sur l’impact carbone du biodiesel issu d’huile de palme), ainsi que les huiles issues d’une production durable. De quoi se prémunir plus facilement d’un éventuel recours devant l’OMC.

Plutôt que de désobéir aux règles de l’OMC – et de mener bataille pour faire modifier des règles qui sont des entraves à la protection de l’environnement et de la santé – le gouvernement et les parlementaires français ont donc préféré s’y conformer. Comme nous l’écrivions en clôture de la COP21, même sur une planète morte, le commerce international devra se poursuivre sans entraves.