Impunité

Srebrenica, un crime européen

Impunité

par Bernard Dréano, Eros Sana

Il y a quinze ans, huit mille hommes et adolescents étaient massacrés par les troupes bosno-serbes de Ratko Mladic. C’était le dernier massacre de la guerre la plus meurtrière qu’ait connue l’Europe depuis 1945 : 150.000 morts, soit en proportion autant que la première guerre mondiale en France. L’Europe continue de faire payer aux Bosniaques le prix de sa propre lâcheté.

Photo : commémoration du massacre de Srebrenica en juillet 2009

Ce massacre était tout sauf imprévisible. Au terme de la première année de combat, en 1992, trois « enclaves », peuplées de Musulmans Bosniaques, étaient encerclées par les troupes nationalistes Serbes de Bosnie et de Serbie. Srebrenica, la plus grande, Zepa et Goradze.

Après de multiples atermoiements, le refus des troupes françaises de l’Onu de livrer Srebrenica aux nationalistes serbes et la résistance de l’Armée Bosniaque à Goradze, l’ONU décide de décréter ces enclaves « zones de sécurité ». Srebrenica est placée sous la protection du bataillon néerlandais de l’Onu.

L’ONU abandonne les habitants

En juillet 1995, la guerre de Bosnie arrive à son terme. En coulisse, on discute déjà du partage du territoire. Mais les « zones de sécurité » empêchent la constitution d’un territoire serbe homogène dans la vallée de la Drina. On envisage, secrètement, d’en déplacer les populations Bosniaques Musulmanes. Comme depuis le début de la guerre de Bosnie, ces « initiatives diplomatiques » sont perçues par les nationalistes comme un feu vert pour agir : parachever l’épuration ethnique de l’ouest de la Bosnie qui n’a pas été complète en 1992-1993. Avec l’accord évident de Milosevic, le général Ratko Mladic, accentue sa pression militaire sur Srebrenica.

Très vite, il apparaît que, contrairement aux français quelques années plus tôt, les néerlandais n’ont nullement l’intention de résister. Ils évacuent progressivement leurs positions autour de la ville, les abandonnant aux milices serbes. Aucun appui aérien des forces de l’Onu, commandées à l’époque par le général français Janvier, ne vient contrecarrer les plans serbes.

Femmes déportées, hommes exécutés

Dès lors, le massacre est programmé. Comme depuis le début de la guerre, comme dans toute guerre d’épuration ethnique, le « vainqueur » veut frapper les esprits par des exactions, s’assurer du départ définitif de la population rejetée, empêcher tout rapprochement futur. Les casque bleus néerlandais assisteront sans réagir à l’arrestation et au tri de la population qu’ils étaient censés protéger. Femmes et enfants sont emmenés dans des bus vers la ligne de front, les hommes seront exécutés à l’abri des collines boisées environnantes. Le dernier massacre ethnique de Bosnie ne fait que prolonger les massacres perpétrés par les mêmes forces dans la même région deux ans plus tôt.

Évidemment, l’ampleur de ce massacre là « fait tâche ». Il n’empêchera pourtant pas les négociateurs des accords de Dayton d’accepter la division ethnique de la Bosnie selon les lignes fixées par les massacres, à l’exception de Goradze, sauvée par sa résistance et ses habitants.

Impunité des criminels

Quinze ans après, la Bosnie reste régie par ces accords fixant le partage criminel. Le pays n’est plus en guerre, on peut y circuler, mais il n’est pas sorti du système créé par l’armistice de Dayton. Les Européens punissent les bosniaques de leur propre lâcheté en les maintenant dans un statut de souveraineté limitée et en leur imposant des visas pour circuler. Certains anciens criminels circulent librement grâce à des passeports croates ou serbes obligeamment délivrés par les pays voisins.

Le 4 juin dernier, lors d’une visite à Paris, Sven Alkalaj, du Ministre des affaires étrangères de Bosnie-Herzégovine, rappelle cette triste réalité : « De nombreux citoyens de Bosnie-Herzégovine jouissent d’une autre nationalité, Serbe ou Croate. Ils ont donc un double passeport et peuvent circuler librement dans toute l’Europe. Alors que le reste de la population, surtout la jeunesse, est assignée à résidence. »

Quinze ans après, l’Europe devrait se souvenir non seulement du crime perpétré par Ratko Mladic et ses troupes, mais aussi de la passivité européenne qui l’a rendue possible.

Ratko Mladic est toujours en liberté.

Bernard Dreano et Eros Sana