Energies

Gaz de schiste : mobilisations massives contre les géants du pétrole en Argentine

Après des échecs à répétition en Europe, l’industrie du gaz de schiste se rue sur l’Argentine. Le géant pétrolier français Total détient onze concessions pétrolières et gazières dans la province de Neuquén, en Patagonie, couvrant 5 300 km2. Soit 6 % de cette province, l’équivalent de la surface d’un département français ! Cette ruée vers le gaz et pétrole de schiste en Argentine fait l’objet d’un nouveau documentaire, Terres de schiste, produit par l’ONG Les Amis de la Terre. Selon l’association, Total a déjà réalisé plusieurs forages par fracturation hydraulique, une technique interdite en France depuis la loi de juillet 2011.

Comme le montre le documentaire réalisé par Grégory Lassalle, les menaces véhiculées par ces forages ne font que s’ajouter à l’héritage des pollutions passées. Le coût des dégâts environnementaux liés à l’exploitation des hydrocarbures a été évalué à 900 millions de dollars, rien que pour la période 1991-1997. Les communautés Mapuche de Paynemil et Kaxipayin, dont le territoire est situé à proximité d’une des plus importantes concessions gazières, ont dû mener une lutte de plusieurs années, jusque devant la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, pour faire reconnaître la contamination de leurs ressources en eau et les problèmes sanitaires engendrés par ces activités.

Des mobilisations massives

Pas étonnant, dans ces conditions, que les Mapuche aient été en première ligne de la contestation du gaz de schiste en Argentine. Fin août 2013, suite à la signature d’un accord entre l’entreprise argentine YPF et la multinationale états-unienne Chevron, ils ont manifesté par milliers dans les rues de la capitale provinciale, avant d’être sévèrement réprimés par la police. Les Mapuche ont été rejoints dans la lutte par les militants pour la justice environnementale et les syndicats. « Un tel degré de mobilisation contre cette activité productive centrale, qui fournit des emplois directs ou indirects, est inédit », souligne le rapport [1] des Amis de la Terre qui accompagne la sortie du documentaire.

Trente collectivités locales argentines, dont quatre en Patagonie, ont déclaré interdire la fracturation hydraulique sur leur territoire, à la manière de ce qui s’est fait en France et partout dans le monde. Mais elles se heurtent à l’opposition des autorités provinciales et nationales. Le moratoire décrété par la ville d’Allen, suite à la mobilisation des habitants et des producteurs fruitiers, a été cassé par la Cour supérieure de justice, pour inconstitutionnalité. Pour le moment, Total, YPF et leurs consœurs paraissent bien décidées à passer outre.

Les entreprises dictent leurs conditions

Le rapport s’attache particulièrement aux forages réalisés par Total dans la concession de Pampa Las Yeguas II. Une concession située au cœur de l’aire naturelle protégée d’Auca Mahuida, riche en biodiversité, lieux rituels et sites archéologiques. Pas moins de 69 puits de pétrole et de gaz dans la zone [2] ont pourtant été dénombrés, début 2012, par les services techniques en charge des aires protégées, qui ont constaté de nombreuses infractions. « Les autorisations ont été données par les responsables politiques de Neuquén, alors que la loi de cette province n’autorise que des activités soutenables à faible impact (type petit élevage) sur ces aires naturelles protégées », souligne les Amis de la Terre.

L’association écologiste a profité de la tenue de l’assemblée générale de l’entreprise Total, à Paris le 16 mai, pour interpeller son PDG, Christophe de Margerie. « Si Total était vraiment une compagnie responsable, ils auraient pu renoncer à leur projet suite au rapport technique des experts environnementaux qui s’opposait au forage du puits en raison des risques importants pour la biodiversité de l’aire », fait valoir l’association. Le PDG de Total conteste l’accusation d’illégalité. Il a déclaré être ouvert à une rencontre avec les associations pour, éventuellement, « corriger le tir ». Dernièrement, les dirigeants de l’entreprise réclamaient, avant d’investir, une baisse des coûts de production locaux, un libre accès au marché des devises, une amélioration des infrastructures, une stabilité des lois et de la fiscalité, et une « reconnaissance » de son rôle dans l’économie du pays.

Voir les enquêtes de l’Observatoire des multinationales sur Total.