Education

Quand un lobby patronal s’invite dans les lycées pour influencer les enseignants

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par Simon Gouin (Grand Format)

Cela se présente comme une sélection d’articles d’actualité destinée aux professeurs pour « ouvrir et alimenter le débat en classe » et « éclairer les thématiques du programme » des Sciences économiques et sociales (SES) enseignées au lycée. C’est ce que propose Actuéco, une publication de quatre feuilles, dont le prototype a été distribué lors des entretiens enseignants-entreprises fin août. Derrière cet événement et cette publication, une même structure : l’Institut de l’entreprise, un think tank créé en 1975 qui « a pour objectif de mettre en avant le rôle et l’utilité de l’entreprise dans la vie économique et sociale », et qui rassemble de grands groupes français et des syndicats professionnels [1].

Après Melchior, un site Internet dédié aux Sciences économiques et sociales et lancé en 2001, l’Institut de l’entreprise étend la diffusion de ses idées grâce au papier. Dans cette première mouture, Actuéco promeut « l’assouplissement du marché de travail », la réduction du montant du Smic, et regrette, en vrac, « les réglementations inadaptées, les taxes trop élevées, les politiques macroéconomiques inadaptées, les administrations inefficaces ». En dernière page, on trouve aussi une tribune du secrétaire général du groupe Carrefour.

« La tonalité de cette sélection, caricaturale, c’est qu’il faut moins de réglementation et plus de flexibilité », résume Erwan le Nader, président de l’Association des professeurs de sciences économiques (Apses). Il regrette « un manque de pluralisme gênant pour la conception de l’enseignement de la discipline ». Pire : l’ensemble est estampillé du logo du ministère de l’Éducation nationale.

L’Éducation nationale soutient-elle l’initiative du lobby patronal ?

Pour publier sa feuille néolibérale, l’Institut de l’entreprise semble s’être allié au quotidien économique Les Échos et au ministère de l’Éducation nationale, les deux logos figurant sur ce premier numéro. « L’Institut de l’entreprise est dans son rôle. Mais cela paraît impensable que le ministère puisse donner une caution à un journal qui émane d’un lobby patronal, s’insurge Erwan le Nader. Dans ce cas, pourquoi ne le font-ils pas avec des syndicats d’employés d’entreprise ? » L’Apses appelle le ministère à mettre fin à ses partenariats avec l’Institut de l’entreprise.

Ce dernier n’en est pas à sa première tentative pour influencer l’enseignement de cette discipline. « Il serait peut-être bon d’effectuer un travail pédagogique de fond sur nos lycéens, comme cela a été fait par les entreprises depuis 20 ans auprès de leurs salariés, afin de les sensibiliser aux contraintes du libéralisme et à améliorer leur compétitivité, en adhérant au projet de leur entreprise … », déclarait, en 2005, Michel Pébereau, alors dirigeant de BNP Paribas et président du think tank. En 2008, une campagne était menée pour revoir les programmes de cette matière. [2]. « L’institut de l’entreprise a toujours voulu que notre enseignement soit plus positif avec l’économie de marché, et qu’il fasse aimer l’entreprise, rappelle Erwan le Nader. Alors que notre objectif est de donner les clés aux élèves pour comprendre l’économie et la société en se basant sur les sciences sociales, et de leur donner le désir d’apprendre. »

En avril dernier, trois anciens ou actuels dirigeants – Jean-Pierre Boisivon (ancien délégué général du think tank patronal et administrateur du groupe Lafarge), Xavier Huillard (son actuel président et PDG de Vinci) et Michel Pébereau (ancien président) – de l’Institut de l’entreprise ont rejoint le Conseil national éducation économie, chargé « d’animer une réflexion prospective sur l’articulation entre le système éducatif et les besoins du monde économique, ainsi qu’un dialogue permanent entre leurs représentants sur la relation entre l’éducation, l’économie et l’emploi ». L’Institut de l’entreprise n’a pas donné suite aux sollicitations de Basta!.

Simon Gouin

Voici un extrait du prototype distribué fin août (version intégrale ici) :