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Quand EDF, sponsor de la conférence sur le climat, investit discrètement dans les gaz de schiste

Une filiale d’EDF exploite du gaz de schiste aux Etats-Unis et recourt à la très controversée fracturation hydraulique. Un paradoxe, alors que la France, propriétaire de l’entreprise publique, a interdit cette technique très polluante sur son territoire. Et que le gouvernement vient de choisir EDF parmi les sponsors officiels de la conférence sur le climat, la COP 21, qui aura lieu à Paris fin novembre. C’est pourtant bien ce que révèle une première version de son rapport « développement durable » publié temporairement sur le site du groupe.

Tout part d’une filiale d’EDF opérant loin des regards du grand public : EDF Trading. Celle-ci regroupe les activités de négoce du groupe et emploie environ un millier de personnes, principalement à Londres, où elle a son siège, et aux États-Unis. EDF Trading est chargée de l’achat et de la vente de charbon, de pétrole, de gaz et d’électricité pour le compte du groupe EDF, ainsi que du négoce des crédits carbone. Elle mène aussi des opérations de trading en son nom propre, comme acheter des kilowattheure d’électricité bon marché pour les revendre au meilleur prix. Des activités extrêmement rentables : en 2014, son chiffre d’affaires s’élève à 856 millions d’euros pour un profit net de 386 millions d’euros (373 millions en 2013), dont elle a reversé les deux tiers à sa maison mère sous forme de dividendes.

Pour optimiser ses activités de négoce, EDF Trading a dû acquérir des infrastructures de transport et de stockage de charbon, de gaz et d’autres matières premières. Elle réalise désormais directement ses propres opérations d’extraction de gaz. Et a créé une sous-filiale dédiée, EDF Trading Resources (ou EDFTR), dont le siège social est à Austin au Texas. Cette filiale se présente comme une « compagnie indépendante d’exploration et de production de pétrole et de gaz naturel » ! Elle est dirigée par une petite équipe de cadres issus du milieu pétrolier texan. EDFTR ne possède en fait que deux zones d’opérations, l’une dans l’Est du Texas (environ 500 puits sur 120 kilomètres carrés), l’autre en Pennsylvanie, dans le comté de Greene, qui correspond à la formation de gaz de schiste de Marcellus (sur 80 kilomètres carré), où 45 forages seraient exploités.

Quand EDF se prend pour un pétrolier texan

Dans une première version de son Rapport de développement durable 2014, qui a été temporairement publié sur le site de l’entreprise et que nous avons pu consulter, EDF reconnaît recourir à la fracturation hydraulique en Pennsylvanie. « Le premier forage est prévu fin 2014 - début 2015. Le projet est en phase de développement (préparation pour le premier forage et acquisition de droits fonciers) », précise le rapport.

Dans ses « éléments de réponses », destinés à contrer les controverses, EDF assure que « le gaz de schiste n’est pas un élément central de sa stratégie industrielle » et que ses forages par fracturation hydraulique seront développés « selon les plus hauts standards industriels » [1].

Problème : pour ses opérations en Pennsylvanie, la filiale d’EDF a choisi un partenaire dont les activités passées sont peu rassurantes du point de vue du respect de l’environnement : Alpha Natural Resources, une entreprise spécialisée dans le charbon, notamment dans la technique dite du « mountaintop removal ». Cette pratique, expérimentée dans la chaîne des Appalaches, consiste à faire exploser le sommet des montagnes pour en extraire plus facilement du charbon. Une technique d’extraction très lourde en terme de pollutions et de risques sanitaires (lire notre enquête).

Un encombrant et polluant partenaire

Alpha Natural Resources a d’ailleurs écopé en 2014 d’une amende record de 227,5 millions de dollars, la plus importante jamais infligée dans le secteur du charbon par l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA). En cause, le déversement illégal de millions de litres de déchets toxiques dans les cours d’eau de Virginie occidentale. Ce passif augure mal du respect des « plus hauts standards industriels » promis par EDF pour ses forages. La région de Marcellus en Pennsylvanie est l’un des exemples les plus emblématiques et les plus controversés des risques de l’exploitation du gaz de schiste pour les ressources en eau. Plusieurs études ont confirmé la pollution des eaux souterraines de la région du fait de la fracturation hydraulique. Même la très prudente Agence fédérale de l’environnement a récemment reconnu des problèmes [2].

Schizophrénie ? L’État demeure propriétaire d’EDF à hauteur de 84%. Et la France a interdit la fracturation hydraulique en 2011. Pour l’instant, le gouvernement tient bon face aux pressions des lobbies industriels qui souhaitent la levée du moratoire. L’ancien PDG d’EDF, Henri Proglio, n’était pas non plus partisan de l’exploitation du gaz de schiste en Europe, par crainte de la concurrence vis-à-vis de l’énergie nucléaire, de plus en plus coûteuse. EDF est ainsi ostensiblement absente du « Centre hydrocarbures non conventionnels », le lobby récemment créé par les grands groupes du CAC40 pour promouvoir la cause des gaz et pétroles de schiste en France.

L’ombre des traités de libre-échange

Il y a un an, EDF a affronté une avalanche de critiques après avoir annoncé l’importation de gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis, pour partie issu de gisements de schiste. Son fournisseur, Cheniere Energy, est en train d’achever la construction d’un terminal de liquéfaction géant sur la côte de la Louisiane pour faciliter ces exportations. Confrontés à une crise du secteur du schiste américain, en raison de la surproduction et de la chute des prix, les industriels misent désormais sur les marchés asiatiques et européens pour relancer la fracturation hydraulique.

Cela tombe bien : deux traités de libre-échange sont en cours de négociation : les exportations de gaz sont au cœur des projets d’accords commerciaux trans-pacifique (TPP), pour l’Asie, et transatlantique (TAFTA/TTIP), pour l’Europe [3]. Engie (ex GDF Suez) est d’ailleurs partie prenante d’un autre projet d’usine géante de liquéfaction de gaz sur la côte de Louisiane, Cameron LNG. Ce secteur d’activités intéresse évidemment EDF Trading. Même si elle prétend le contraire, l’entrée d’EDF dans la production de gaz de schiste ressemble à un choix stratégique.

L’entreprise encore publique vient d’être désignée sponsor officiel de la Conférence climat (COP21) qui doit se tenir à Paris en fin d’année. Et ce, malgré ses investissements substantiels dans les énergies fossiles, notamment le charbon [4]. Pour justifier leur choix, les autorités françaises expliquent qu’EDF et les autres entreprises sélectionnées ont pris des engagements en faveur de la transition énergétique, vers le passage à une économie « décarbonée ». Avec la décision d’investir dans le gaz de schiste – qui émet autant de gaz à effet de serre que le charbon en raison des fuites de méthane –, EDF, où l’État est pourtant majoritaire, prend plutôt le chemin inverse.

Olivier Petitjean

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Photo : Sarah Craig/Faces of Fracking CC