Elections

Politique, mensonges et vidéos en Grèce : pourquoi la route de Syriza vers le pouvoir est semée d’embûches

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par Nikos Smyrnaios

Le 29 décembre, les députés grecs tenteront, dans une ultime tentative, de désigner un président, en l’occurrence Stavros Dimas, ancien commissaire européen et candidat du gouvernement. Le pouvoir en place semble prêt à tout pour empêcher la tenue d’élections anticipées et l’arrivée au pouvoir du mouvement de gauche anti-austérité Syriza. Y compris les plus basses tentatives de corruption, comme le raconte Nikos Smyrnaios, un enseignant grec travaillant en France.

La Grèce se dirige vers des élections législatives anticipées en janvier prochain dans un climat nauséabond. Le complexe politico-financier et médiatique qui gouverne le pays depuis quarante ans se donne en triste spectacle. Dernier épisode de ce feuilleton pathétique la tentative de corruption d’un député enregistrée en vidéo. C’est l’énième rebondissement dans ce processus de délitement du système politique traditionnel, qui laisse toutefois espérer à un changement.

Le comédien au cœur du drame politique

Pavlos Haikalis est député du petit parti souverainiste et anti-austeritaire “Grecs indépendants” depuis les élections de mai 2012. Mais il est surtout un comédien populaire, ayant ténu des rôles essentiellement comiques au cinéma, au théâtre et dans de nombreuses séries de télévision. Or son destin était de jouer le plus grand rôle de sa carrière dans un hôtel athénien, sous l’objectif d’une caméra dissimulée. Haikalis joue le jeu pour piéger son interlocuteur.

Dans la vidéo qu’il a rendu publique lors d’une conférence de presse organisée par son parti le vendredi 19 décembre on le voit attablé avec Yorgos Apostolopoulos, homme de la finance, ancien cadre de la Deutsche Bank et conseiller politique occulte. Celui-ci propose à Haikalis plusieurs millions d’euros (lire ici). En échange il lui demande de voter en faveur du candidat du gouvernement pour le poste – honorifique – du président de la République. Le but de la manœuvre étant d’atteindre la majorité parlementaire qualifiée de 180 députés sur 300 et d’éviter ainsi les élections anticipées.

La confusion ou comment étouffer une affaire d’Etat

Dans un pays « normal », ces révélations auraient constitué un séisme. Des responsables politiques auraient démissionné ; la justice aurait arrêté l’agent corrupteur ; les grands médias auraient fait leur Une sur cette révélation en cherchant la vérité sur les commanditaires. Mais pas en Grèce. Après quatre ans d’austérité extrême, les institutions sont à la peine et le complexe politico-financier et médiatique qui gouverne le pays est prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition pour rester au pouvoir.

Ainsi, le Premier ministre Samaras a annoncé qu’il portait plainte contre Haikalis (!!) pour calomnie, dans une tentative d’intimidation pure et simple. De son côté, le procureur a entendu l’agent corrupteur en tant que témoin, sans l’arrêter. Les médias dominants – chaînes de télévision et quotidiens appartenant aux magnats du pays – ont relayé largement sa version. Ils ont fait le procès de Haikalis et ont mis en avant tous les éléments qui pourrait soutenir la version d’un « coup monté ». Pour le citoyen lambda c’est donc la confusion la plus totale.

Des vidéos à foison

Pourtant ce n’est pas la première affaire, impliquant des enregistrements audio et vidéo compromettants, qui éclate depuis deux ans et l’arrivée de Samaras au pouvoir. Des extraits d’écoutes effectuées par la police dans le cadre d’une enquête pour corruption dans le football ont révélé la proximité d’hommes d’affaires puissants avec des journalistes et des politiques. On y apprend par exemple que le patron de l’équipe de l’Olympiakos, le puissant armateur Marinakis, a influé en 2012 sur le choix des candidats du parti du Premier ministre, par l’intermédiaire d’un journaliste vedette. Les écoutes impliquent le même Marinakis et ses proches à des affaires qui vont des matchs truqués au trafic international d’héroïne.

Les nazis de l’Aube dorée, dont les principaux leaders sont en prison, participent également aux fuites. A deux reprises ils ont communiqué des enregistrements impliquant le Premier ministre et l’un de ses plus proches conseillers. Dans le premier qui date d’octobre 2013 le député Takis Baltakos, proche de Samaras, discute en ami avec le porte parole de l’Aube dorée et commente les diverses interventions du gouvernement auprès de la justice tantôt pour épargner ou pour enfoncer les nazis, en fonction des intérêts du moment.

Dans le second extrait, on entend le Premier ministre lui-même donner des ordres au Parquet pour placer des leaders d’Aube dorée en détention provisoire. C’est l’époque qui, après le meurtre de Pavlos Fyssas, voit un changement d’attitude du gouvernement face à l’Aube dorée : plutôt que de solliciter son soutien face à l’arrivée des « communistes » de Syriza, il s’agit désormais de le détruire par voie judiciaire pour récupérer ses « électeurs égarés ».

La stratégie de la peur

Malgré toutes ces affaires, et en dépit de sa politique qui conduit le pays dans l’impasse, Samaras et ses acolytes – dont les socialistes Grecs – sont toujours au pouvoir. Ceci grâce à des opérations de propagande à grande échelle perpétrées à l’aide de médias, d’hommes d’affaires, mais aussi d’instances européennes qui n’ont eu de cesse d’affirmer leur soutien à ce gouvernement.

Dès que la perspective d’élections anticipées est apparue, la stratégie de la peur, utilisée avec succès en 2012, s’est remise en branle. Principal argument : l’arrivée de Syriza au pouvoir conduirait à une catastrophe économique, la sortie de la Grèce de la zone euro et un bank run (une ruée des clients vers leurs banques pour retirer leurs dépôts) ! C’est même le gouverneur de la Banque de Grèce qui l’a dit, sortant de la réserve qu’impose sa fonction. Il se trouve que ce gouverneur est Yannis Stournaras, ancien ministre de l’Economie de Samaras et architecte de l’austérité.

En Europe les rapports alarmistes de la presse financière, des banques et des agences de notation donnent le ton. De nombreux responsables lui emboîtent le pas. Ainsi, Jean-Claude Juncker ne cache pas son soutien à Samaras allant jusqu’à dire qu’il préfère voir des « visages familiers » au pouvoir en Grèce et éviter l’arrivée au pouvoir des « forces extrémistes » allusion à peine voilée à la gauche radicale de Syriza.

La « parenthèse de gauche »

Au delà de la stratégie de la peur, l’establishment semble avoir mis au point une solution de repli : la « parenthèse de gauche ». Constatant la dynamique de Syriza qui conduira inévitablement le parti de gauche au pouvoir, tout est fait pour que celle-ci ne dure pas. Ainsi, le gouvernement a avancé l’élection du président de la République après avoir obtenu une prolongation de deux mois du Mémorandum (accord de financement en échange d’austérité et de déréglementation). Dans le scénario des législatives anticipées gagnées par Syriza, celui-ci entrerait au gouvernement à un moment où tout financement venant de la Troïka serait donc suspendu ou en voie de l’être. Manière pour les créanciers de mettre la pression aux nouveaux dirigeants.

Autre révélation inquiétante du site d’information indépendant The Press Project et de la journaliste Vassiliki Siouti : le gouvernement et les créanciers chercheraient à bloquer 11 milliards d’euros qui constituent un reliquat du prêt accordée à la Grèce pour la recapitalisation des ses banques. Syriza compte sur cet argent pour lancer un programme contre ce qu’il appelle « la crise humanitaire » qui sévit dans le pays. Or le gel éventuel de cette somme rendrait ses mesures phares inapplicables. Enfin, ces derniers jours, pris de panique, le gouvernement et ses députés font passer une myriade d’amendements sans lien avec les projets de lois votés afin de satisfaire leur clientèle et mettre le futur gouvernement devant le fait accompli.

Néanmoins, cette fois, la campagne de la peur ne semble pas fonctionner comme en 2012. Une grande partie de Grecs est décidée de rompre avec ce système. Mais la tâche de Syriza au pouvoir ne sera pas facile. Son gouvernement aura besoin de beaucoup de courage et surtout de soutien critique de sa base pour ne pas dévier de sa ligne. Car à court terme, il constitue la seule lueur d’espoir dans ce paysage politique dévasté…

Nikos Smyrnaios / blog Ephermeron

Photo : drapeaux du mouvement de la gauche grecque Syriza / CC bluto blutarski