Vous avez dit déontologie ?

Police : toujours trop de bavures

Vous avez dit déontologie ?

par Ivan du Roy

Médiocre ! En matière de respect par la police de la déontologie, le septième rapport de la Commission nationale de déontologie et de la sécurité montre que le compte n’y est pas. Déontologie ne rime décidément pas avec Sarkozy.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) vient de publier son rapport. En 2006, elle a été saisie 161 fois pour des manquements présumés à la déontologie des forces de l’ordre, du personnel pénitentiaire ou d’agents de sécurité privée. Une augmentation de 30 % comparé à 2005, de 636 % par rapport à 2001, date de sa création. C’est le signe que la commission, encore méconnue du grand public, devient incontournable pour qui souhaite une enquête indépendante en cas d’exaction policière. C’est aussi le symptôme que le respect de la déontologie n’est pas une priorité pour tous les fonctionnaires chargés de la sécurité des personnes et des biens. Sur le podium du non-respect du citoyen, la police nationale arrive en tête (deux tiers des saisines) suivie de l’administration pénitentiaire (22 %) et de la gendarmerie (12 %). Ce rapport est le dernier élaboré sous la présidence du magistrat Pierre Truche. Il est remplacé par un autre magistrat, Philippe Léger, qui fut directeur de cabinet du garde des Sceaux Pierre Méhaignerie en 1993. Autre changement : outre les parlementaires et le défenseur des enfants, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) ainsi que le médiateur de la République peuvent saisir la CNDS pour faire suite à la demande de citoyens ou d’associations.

« Rapporté à l’ensemble des situations, rien ne permet de dire que cela s’aggrave », commente Philippe Léger. La proportion des manquements à la déontologie demeure faible, comparée aux centaines de milliers d’interpellation, insiste le président. Il n’empêche, le rapport pointe « la fouille au corps trop souvent banalisée », le « menottage systématique » et des cas de « violences illégitimes graves ». Ces pratiques frappent particulièrement les mineurs. Ainsi, le traitement subi par ce jeune de 17 ans interpellé par des policiers strasbourgeois. Il « a reçu un coup au visage qui lui a occasionné une perforation du tympan alors que, d’après le policier, il n’avait fait aucun geste d’agression ». « Insulté, retenu dans un véhicule de police sans cadre légal », « menotté à un grillage, puis jusqu’à son domicile [...] sans qu’il ne présente un quelconque danger ni pour lui-même, ni pour les policiers ». Suite à l’avis de la CNDS, le ministère de l’Intérieur assure que le fonctionnaire impliqué suivra « une action de formation continue sur ce point ». L’asymétrie entre la parole d’un policier assermenté et d’une victime est énorme. Elle est encore plus grande entre administration pénitentiaire et détenus, auxquels le rapport consacre un chapitre spécifique, pointant du doigt des dysfonctionnements qui se concluent parfois par des suicides de détenus.

Menace de restriction budgétaire, communiqués hostiles de syndicats de police, réponse tardive du ministère de l’Intérieur à ses recommandations... la CNDS gêne. Six ans après son installation, son avenir est-il assuré ? Un commissaire du gouvernement lui sera désormais adjoint. « Que va-t-il nous apporter ? Je n’en sais rien pour l’instant », commente Philippe Léger, précisant que « chacun gardera sa liberté d’analyse et de décision ». « Il faut arrêter de fragiliser le travail de la CNDS, renchérit le député socialiste Bruno Le Roux, membre de la Commission. Nous restons le pays en Europe qui, ayant mis en place ce type de structure, lui fournit les moyens les plus faibles ». Rappeler leur devoir de déontologie aux forces de l’ordre n’est pas gratifiant matériellement : un membre de la CNDS perçoit une indemnité mensuelle brute de 152,45 euros. Le député souhaite par ailleurs que « la commission soit associée aux réflexions sur la sécurité pour que les conséquences soient pesées en matière de déontologie ». Comme sur le Taser, ces pistolets à impulsions électriques - capables de libérer une décharge de 50 000 volts pour paralyser la personne visée - qui équipent progressivement les forces de l’ordre. Ou sur les modes d’intervention de la Brigade anti-criminalité (Bac) souvent en cause. Malgré ces difficultés, Philippe Léger est convaincu « que la CNDS joue un rôle dans la diffusion de la culture de la déontologie dans les forces de l’ordre » même si celles-ci tardent à admettre « qu’un regard extérieur soit porté sur leurs activités ». « Depuis 2000, on peut constater qu’un certain nombre de circulaires ministérielles rappellent que la police est placée au service du public », ajoute l’ancien avocat Jean Bonnard. Le problème est que ce n’est pas une évidence.

Ivan du Roy