Bilan de Rio+20

« On ne créera pas d’emplois sur une planète morte »

Bilan de Rio+20

par Sophie Chapelle

La conférence sur le développement durable à Rio n’aura servi à rien. Les États ne sont pas allés au-delà des habituelles déclarations d’intention. C’est loin d’être anecdotique. Les échecs successifs des conférences internationales sur les grands enjeux écologiques, du dérèglement climatique à l’épuisement des ressources, marquent la fin d’un monde où les tensions pouvaient se résoudre collectivement et pacifiquement.

Les forces de l’ordre quittent l’enceinte des négociations officielles, laissant derrière elles pointer les pavillons des entreprises. À plusieurs kilomètres de là, les tentes du Sommet des peuples – la conférence alternative à Rio+20 – sont peu à peu démontées. Malgré la fatigue qui marque les visages, il faut dresser un premier bilan. Anabella Rosemberg s’occupe des questions environnementales pour la Confédération syndicale internationale (CSI) : soit 308 organisations syndicales, dont les deux principales confédérations françaises (CGT et CFDT).

Elle est déçue et en colère. Déçue face à l’incapacité des mouvements sociaux et des ONG de changer le cours des choses. « Nous n’avons pas été assez forts pour imposer nos alternatives, soupire-t-elle. Si nous ne prenons pas conscience de nos faiblesses, nous n’arriverons pas à faire bouger l’échiquier international, non seulement sur les questions environnementales, mais aussi sur les droits de l’homme, la démocratie, le développement, les libertés. » En colère face à la capitulation et à l’irresponsabilité des États. Arrivés le 20 juin à Rio, les chefs d’État et de gouvernement ont trouvé sur leur table un texte adopté la veille par l’ensemble des négociateurs. « Ils n’ont pas eu le courage de rouvrir ce texte pour lui donner plus d’ambition. On élit des gouvernements pour qu’ils prennent leurs responsabilités et non pas pour qu’ils arrivent à un sommet de l’ONU pour une photo », dénonce la responsable syndicale. Sa colère est largement partagée.

Capitulation des États

« Il n’y a pas eu d’arbitrage politique, confirme Laurence Tubiana, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Les Brésiliens, qui ont porté ce texte, ont réussi à donner des gages aux différents groupes et ont vraiment mené d’une main de maître cette opération diplomatique. » En proposant un texte « à prendre ou à laisser », qui supprimait tous les passages suscitant des oppositions, le Brésil savait que l’Union européenne ne le refuserait pas. Personne ne voulait prendre le risque de rouvrir les débats qui fâchent. Résultat : la déclaration finale [1] énonce une succession de principes, « sans engagement prescriptif, encore moins contraignant, ni date de mise en œuvre », souligne l’association Attac.

L’accord table par exemple sur une limitation de la hausse de la température mondiale moyenne à 1,5 °C, de quoi rassurer les petits États insulaires (« Alliance of Small Island States »), directement menacés par les dérèglements climatiques [2]. Mais à côté, aucun objectif collectif pour restreindre les subventions aux énergies fossiles ou davantage taxer les carburants – ce qui aurait mécontenté les États-Unis – n’a été fixé. Quant à une taxe sur les transactions financières qui pourrait permettre de financer la transition écologique, elle n’y figure tout simplement pas. Comme le relève Le Guardian, le verbe « devoir » n’apparaît que trois fois tandis que le verbe « encourager » est cité près de 50 fois. Une illustration du manque d’audace politique.

« Un texte mou »

François Hollande, l’un des rares chefs d’État présents, a salué « l’appel à travailler à un accord sur la préservation des océans ». Mais de ce côté-là aussi, « nous avons un texte mou », rétorque Lucien Chabason, de l’Iddri. Il déplore « une grande faiblesse sur les pollutions, rien sur les pollutions telluriques (les pollutions charriées dans la mer par les rivières et les océans, ndlr) et, surtout, pas un mot sur l’offshore profond ». Alors que les grands groupes pétroliers forent de plus en plus profond pour extraire du pétrole, multipliant les risques d’accidents et de marées noires.

Seule référence aux menaces environnementales qui planent sur les océans : les débris plastiques, allusion au « septième continent » de déchets flottants qui s’est formé dans le nord-est du Pacifique. Pour résorber cette pollution, les Nations unies ont créé un groupe de travail pour savoir s’il faut… un nouvel instrument juridique sur la protection en haute mer. La conférence se donne deux ans pour répondre à la question…

Quid de l’économie verte ?

Le texte adopté à Rio+20 prévoit la mise en place d’objectifs du développement durable (ODD), à l’image des Objectifs du Millénaire fixés par l’ONU pour, entre autres, réduire l’extrême pauvreté et la faim ou scolariser l’ensemble des enfants du monde d’ici à 2015. Les ODD devraient prendre le relais des Objectifs du Millénaire et s’imposer à l’ensemble des pays. Sécurité alimentaire, énergie, villes, emplois verts, océans, changement climatique sont quelques-uns des thèmes discutés. « Les ODD sont le seul grand acquis de Rio+20, il faut s’ y accrocher », estime Pierre Radanne, président de l’association 4D.

Ces ODD constituent « la seule ouverture vers la continuation d’un processus multilatéral, relève l’association Attac. Mais « ils seront toutefois plombés par l’absence de limites données à la prédation des ressources naturelles ». Le texte de Rio+20 fait ainsi de l’extraction minière l’un des moteurs de croissance et de prospérité économique. Une politique bien loin de prendre en compte la multitude de témoignages des populations locales, au Chili ou au Brésil, qui dénoncent les conséquences de cette extraction à outrance. Ces nouveaux objectifs devraient être précisés en 2013 pour une échéance en 2030. Précisons que les précédents « objectifs du millénaire » n’ont, eux, pas été atteints…

Business partout, progrès sociaux nulle part

L’organisation mondiale de l’environnement, voulue par l’Union européenne, ne verra pas le jour. Seul le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), déjà existant, verra ses compétences « renforcées ». L’Union européenne défendait également le concept « d’économie verte » en lieu et place du développement durable. La Chine et les pays du Sud (G77) ne l’ont pas acceptée. Les associations et mouvements qui se mobilisaient contre une vision très néolibérale de l’économie verte, la considérant comme une extension des logiques financières à la gestion de la nature, devraient donc se réjouir. Problème : la déclaration finale mentionne bien l’économie verte comme l’une des voies pour promouvoir le développement durable, précisant qu’elle constitue tout ce qui ne doit pas enrayer le commerce. En clair : le business continue de passer avant la protection de l’environnement.

La conférence de Rio+20 n’est en rien sortie des logiques qui rythment le monde actuel, et en aggravent les crises : le temps de la croissance et de l’immédiat pour la dimension économique, le moyen terme pour le progrès social et la redistribution des richesses, et le temps long pour l’environnement. « Ces trois dimensions-là sont traitées séparément dans la déclaration finale, pointe Anabella Rosemberg. Or, on ne créera pas d’emplois dans une planète morte. Et on ne sera pas capable de venir à bout de la pauvreté si on ne règle pas la question environnementale. »

La fin du multilatéralisme ?

Mais le véritable, et inquiétant, enseignement de cette conférence, c’est qu’elle signe sans doute la fin du multilatéralisme : la capacité des États de discuter et de répondre ensemble et pacifiquement aux problèmes du monde. Ce multilatéralisme qui avait émergé avec la fin de la guerre froide, porté entre autres par une Europe qui, elle-même, n’arrive plus à faire passer l’intérêt général du continent avant les intérêts nationaux. « Ce qui frappe, c’est que personne, autour de la table, n’a envie de progression collective , observe Laurence Tubiana. Et cela reflète l’état du monde. » C’est désormais la course au plus petit dénominateur commun.

« Nous sommes arrivés à la fin de la volonté des États de se réguler internationalement », ajoute Anabella Rosemberg. « Il n’y a pas de solution pour le monde qui ne soit pas une solution multilatérale. Ce qui a poussé les États à aller vers le multilatéralisme et vers davantage de régulations mondiales, c’était la peur que le conflit revienne. Aujourd’hui, ce péril existe. Les réfugiés climatiques et les guerres pour les ressources naturelles sont une réalité. » Les échecs successifs des grandes conférences sur l’environnement, de Copenhague à Rio+20, marquent-elles le basculement vers le retour au chacun pour soi ?

Sophie Chapelle

Photos : © Jean de Pena / Collectif à vif(s)