Conflit d’intérêt ?

Nomination controversée d’une responsable de la banque UBS à l’Autorité des marchés financiers

Conflit d’intérêt ?

par Agnès Rousseaux

Le « gendarme de la bourse », l’Autorité des marchés financiers (AMF), a renouvelé en décembre la moitié des membres de sa Commission des sanctions. Celle-ci instruit les dossiers, enquête et décide des sanctions sur les fraudes et manipulations présumées du secteur bancaire et financier. Parmi les personnes nommées par Pierre Moscovici, ministre des Finances : Françoise Bonfante. Elle est responsable depuis 2010 de la filière Risques de la banque suisse UBS, et a été pendant quinze ans (de 1995 à 2010) directrice de la conformité à UBS France et Europe. Elle était donc chargée de faire respecter par la banque les lois et règlementations [1].

Sa nomination dans un organe aussi stratégique que la Commission des sanctions de l’AMF a de quoi surprendre. UBS France a en effet été condamnée en juin 2013 à une amende de 10 millions d’euros, pour « laxisme » dans le contrôle de pratiques commerciales susceptibles de relever du blanchiment de fraude fiscale. Selon l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), qui surveille l’activité des banques, UBS avait été informée de « graves soupçons » concernant la possible implication de son réseau commercial « dans la facilitation d’opérations susceptibles d’être qualifiées de démarchage illicite et de blanchiment de fraude fiscale ». En clair : l’organisation d’un système d’évasion fiscale de la France vers la Suisse, assurés par des chargés d’affaires de la banque démarchant de nouveaux clients et instaurant une double comptabilité. La direction d’UBS a « attendu plus de dix-huit mois avant d’entreprendre la mise en place des procédures d’encadrement et de contrôle nécessaires pour remédier à ce risque de non-conformité de son activité transfrontalière », décrit l’ACP [2]. Une fraude organisée à propos de laquelle Françoise Bonfante a été entendue par l’ACP. Elle était en première ligne en tant que responsable de la conformité et des risques chez UBS à cette époque.

« Blanchiment de fraude fiscale en bande organisée »

Sa nomination à l’AMF a fait bondir le sénateur communiste Éric Bocquet, rapporteur en 2012 de la Commission d’enquête sur l’évasion fiscale : « Quels sont les critères qui ont présidé à la désignation de la représentante de la banque UBS au sein de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers ? », interpelle-t-il dans une question au gouvernement. « Une ancienne de la banque UBS qui a maille à partir avec la justice pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée ! C’est incroyable !, s’indigne-t-il. Déconnecter le politique des financiers et particulièrement des banques est une absolue nécessité. On ne nous fera pas croire qu’il n’y a de compétences que chez les banquiers ! ».

Les liens entre la Commission des sanctions de l’AMF et le secteur bancaire ne sont pas nouveaux : sur les douze membres de cette commission, six sont des professionnels nommés par le ministre de l’Économie, après consultation des organisations représentatives du secteur financier. Mais avec la nomination d’un haut-responsable d’UBS, Pierre Moscovici envoie un signal très alarmant. Le journaliste Antoine Peillon a décrit, dans son ouvrage Ces 600 milliards qui manquent à la France [3], « l’existence d’un "carnet du lait" et d’un "fichier vache", comptabilité clandestine des opérations d’évasion fiscale organisées par plusieurs dizaines de chargés d’affaires d’UBS sur tout le territoire français », et ce pendant plusieurs années. L’auteur a notamment recueilli le témoignage de nombreux cadres supérieurs de la banque, affirmant que les membres du directoire étaient au courant de ces pratiques illicites. La direction générale d’UBS a apporté un démenti catégorique.

Une responsable de cette banque peut-elle vraiment siéger dans la Commission des sanctions ? Comment cette décision a-t-elle pu être prise ? « La banque que vous avez mentionnée fait l’objet de procédures à caractère judiciaire. Les obligations qui sont les miennes m’interdisent de faire des commentaires, de manière à ne pas obérer l’efficacité des procédures en question », a répondu, dans une déconcertante langue de bois, Bernard Cazeneuve, ministre délégué au Budget, à la question du sénateur Éric Bocquet. Certaines décisions semblent visiblement difficiles à assumer.

 Voir la composition de la Commission des sanctions de l’AMF

@AgnesRousseaux

Mise à jour : Le 27 février, Pierre Moscovici, ministre des Finances, a annoncé que Françoise Bonfante avait démissionné de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF), conformément à sa demande. Cette décision fait notamment suite aux réactions indignées de parlementaires et de lanceurs d’alerte, ex-salariés d’UBS à l’origine de l’instruction judiciaire en cours.
 Lire l’article du magazine Challenges : Moscovici fait démissionner l’ancienne d’UBS, nommée par lui à l’AMF.

Notes

[1En finance, la « conformité » ou « compliance » en anglais désigne le respect des lois et règlementations propres aux activités bancaires et financières, mais aussi des normes déontologiques.

[2Lire le rapport de l’ACP ici. UBS France a depuis formé un recours devant le Conseil d’État contre la décision de la Commission des sanctions du 25 juin 2013.

[3Antoine Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France, Enquête au cœur de l’évasion fiscale, Editions du Seuil, 2012.