Universités

Malgré les interventions policières et les commandos d’extrême-droite, le mouvement étudiant s’amplifie

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par Ivan du Roy, Mathieu Paris

Il aura fallu un mois pour que les assemblées générales ne soient plus clairsemées et les tentatives d’occupations de campus encore balbutiantes. La contestation de la loi « orientation et réussite des étudiants » et du dispositif Parcoursup, qui instaure un tri des lycéens à l’entrée de l’université, prend une nouvelle dimension. Le basculement s’est opéré début avril, alors que commençait la grève perlée des cheminots, malgré l’intrusion de groupes d’extrême-droite à Montpellier ou Lille et les interventions policières à Strasbourg ou Nanterre. Récit des prémisses d’une « coagulation ».

Depuis début avril, le mouvement étudiant prend une nouvelle dimension. Durant la mobilisation contre la « loi El Khomri », il y a deux ans, seules deux assemblées générales avaient dépassé le millier de participants, rappelle Florent, porte-parole du syndicat Solidaires étudiants. L’engouement pour les « AG » est, désormais, bien plus massif.

Ils sont 1200 étudiants de lettres et sciences humaines à Nancy, le 5 avril, pour voter la poursuite du blocage du campus. Le jour suivant, à Montpellier, alors que les cours ont repris trois jours plus tôt dans la faculté de droit, sous la surveillance des CRS, 3000 étudiants votent un blocus illimité. Leur revendication : l’abrogation du « plan Vidal » – du nom de la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal. Le « plan Vidal », ou loi « orientation et réussite des étudiants » (ORE), dont le dispositif Parcoursup, a été adoptée mi-février par l’Assemblée nationale. La réforme durcit les conditions d’accès à l’université et d’obtention des diplômes.

 Lire notre article : Parcoursup : comment les portes de l’université vont se refermer pour les « bacs pro » issus des classes populaires).

À Rennes 2, ils ne sont d’abord qu’une centaine à participer au blocage le 9 avril. Le lendemain, plus de 2000 étudiants tiennent une AG et approuvent aux deux tiers la reconduction du blocage. Idem à Paris 8 Saint-Denis, avec un millier de personnes le 11 avril, à Tolbiac ou Nanterre. Actuellement, « on double à peu près la taille de la mobilisation chaque semaine », assure Florent.

Assemblée générale à Rennes 2 le 10 avril, « Plus grosse AG de Rennes depuis le CPE » selon l’Unef (Source : @UnefRennes2 / Twitter)

Alors que la mobilisation était pourtant très éparse un mois plus tôt, au 18 avril, plus d’une vingtaine d’universités françaises – sur 70 – sont concernées par des occupations [1]. Les blocages sont partiels – avec quelques bâtiments rendus inaccessibles – comme à Bordeaux, Metz ou Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ou complets comme à Rennes 2 et Strasbourg. Sans oublier les nombreuses universités dans lesquelles se tiennent des assemblées générales sans pour autant décréter de blocage. « Le mouvement est en train de prendre », reconnaissait dès le 30 mars le président de l’Université Paris 1 Georges Haddad.

Tentatives d’étouffer le mouvement dans l’œuf

Pourtant, en février, quand le processus de sélection Parcoursup et le détail de la réforme de l’université sortent des cartons du gouvernement et débattus à l’Assemblée nationale, les AG sont clairsemées et les occupations balbutiantes. Si certains s’activent à Nantes, Saint-Denis ou Lyon, c’est d’abord en soutien aux mineurs étrangers isolés et laissés à la rue. La montée en puissance de la contestation étudiante vient de Toulouse. Alors mobilisée depuis plus de trois mois contre un projet local de fusion, la contestation toulousaine prend une dimension nationale avec la mise sous tutelle de l’Université du Mirail (lire notre article : L’université du Mirail à Toulouse, cœur de la contestation étudiante contre la sélection).

S’ensuivent la manifestation nationale du 22 mars, qui marque le début du mouvement des cheminots, et, dans la nuit, l’épisode de l’attaque de la faculté de Montpellier par des militants d’extrême-droite avec la complicité du doyen. Ces évènement agissent-ils comme un déclencheur ? Tandis que les quelques universités où la mobilisation frémit votent des blocages reconductibles, d’autres rejoignent le mouvement. L’abrogation de la loi ORE et du dispositif Parcoursup deviennent la revendication n°1.

Préfets et gouvernement n’ont pourtant pas lésiné sur les moyens pour tenter d’étouffer dans l’œuf l’émergence, fragile, de la contestation. À Bordeaux le 6 mars, une quarantaine d’étudiants sont délogés par les CRS à « coups de matraque » et de « coups de poing au visage » selon les témoignages. Les occupants essuient au passage des « injures à caractère raciste, sexiste et homophobe » selon le communiqué d’une trentaine de personnels. Une vingtaine d’étudiants sont interdits d’accès à l’université en dehors de leurs heures de cours. Même scénario le 22 mars et le 4 avril, à Strasbourg (voir la vidéo ci-dessous).

Intervention policière à l’université de Strasbourg, le 22 mars (France 3)

Le 9 avril, alors que 2500 gardes mobiles commencent à assiéger la « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes, les CRS interviennent à Nanterre. Une trentaine d’étudiants, réfugiés sur le toit d’un bâtiment parviennent à négocier la mise à disposition de deux amphis et le départ des forces de l’ordre. L’accord n’est pas respecté : sous les yeux et les cris de membres du personnel administratif et enseignant, les étudiants sont gazés et violemment expulsés (voir la vidéo ci-dessous). Plusieurs d’entre-eux sont blessés et sept interpellés. Quatre étudiants seront jugés le 20 juin pour dégradations, violences et rébellion sur agent. Le même jour, des professeurs de Lille 2 décident de se mettre en grève pour faire reporter les examens. Résultat : professeurs, étudiants et cheminots venus les soutenir sont repoussés avec violence devant les portes de l’université.

Intervention policière à l’université de Nanterre, le 9 avril (AFP)

Intervention policière à l’université de Lille, le 9 avril

Commandos d’extrême-droite

A cette répression policière, s’ajoute des attaques perpétrées par des groupes d’extrême-droite se revendiquant anti-blocage. Celle de Montpellier, la nuit du 22 mars, est la plus médiatisée. Parmi les quelques étudiants qui souhaitaient organiser une assemblée générale dans un amphithéâtre, trois sont hospitalisés. Le doyen et un professeur de droit sont mis en examen : le premier pour « complicité d’intrusion », le second pour « violences en récidives ».

Le 26 mars des étudiants de Lille 2 sont pris à partie par une vingtaine de personnes lors d’une attaque revendiquée ensuite par un compte twitter d’extrême-droite. Deux jours plus tard, à Strasbourg, des étudiants occupant une partie des bâtiments sont attaqués par des militants du Bastion Social, un groupuscule d’extrême-droite héritier du Gud (lire cet article du mensuel CQFD). Enfin, dans la nuit du 6 au 7 avril, c’était au tour de Tolbiac d’être la cible d’une vingtaine d’individus casqués et armés de barres de fer.

« Pour chaque université débloquée par la force, deux ou trois autres décrètent un blocus »

Une expédition éclair de 10 minutes pour lancer canettes et fumigènes vers les bâtiments, filmée et diffusée par une agence dont l’un des fondateurs était candidat aux cantonales de 2013 pour le FN. Une occupante de la « Commune Libre de Tolbiac » est blessée à la main, six militants d’extrême-droite sont interpellés. Ils comparaîtront en septembre prochain pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ».

Au lieu d’affaiblir le mouvement, les tentatives d’évacuations policières et les attaques perpétrées par des groupuscules d’extrême-droite le renforcent. En soutien aux élèves agressés à Montpellier, plusieurs manifestations d’étudiants sont organisées dans toute la France. Alors que le 9 avril, seule une petite trentaine d’individus tentent d’occuper une partie du campus de Nanterre quand les CRS sont appelés, le lendemain de l’évacuation, 700 étudiants se réunissent en assemblée générale pour dénoncer les violences policières et le durcissement de la sélection.

À Tolbiac, le même jour, une assemblée générale réunit plus d’un millier de personnes. La menace d’une intervention policière renforce encore la mobilisation : des centaines de personnes – étudiants, professeurs et même cheminots – se rassemblent devant le bâtiment après l’annonce par la présidence de l’université de recourir aux forces de l’ordre. Le site de Tolbiac est finalement investi par les CRS à l’aube du 20 avril, une centaine d’occupants nocturnes sont évacués. « Pour chaque université débloquée par la force, deux ou trois autres décrètent un blocus », promet le porte-parole de Solidaires étudiants.

Assemblée Générale à Nanterre suite à l’intervention policière du 9 avril (Source : @GastonLefranc/ Twitter)

Qu’en est-il de la « coagulation » de la contestation à laquelle ne croit pas le Président de la République ? Le 12 avril, les dockers de Marseille votent une motion de soutien aux étudiants bloquant l’université Saint-Charles. « En cas d’intervention des forces de l’ordre, nous nous mettrons en grève et nous viendrons aux côtés des étudiants », promet Pascal Galeote, secrétaire du syndicat des portuaires (CGT). À Nanterre, les blocages sont soutenus par des cheminots de Sud Rail.

A Tolbiac, des collectes sont organisées pour subvenir aux frais quotidiens d’occupation mais aussi pour alimenter une caisse de grève pour les cheminots, ou soutenir les exilés abrités à l’université de Saint-Denis. On y débat de sujets variés : la « zone à défendre » de Notre-Dame des Landes, les quartiers populaires, les luttes féministes et LGTB, ou encore les conditions de détention en France. On tente de « converger » avec les personnels des universités, ceux des hôpitaux, les cheminots, ou les salariés de La Poste en organisant des « banquets inter-luttes ».

« Violence, drogue, sexe », et bientôt « sida mental » ?

Cela bouge aussi du côté des présidents d’université. Celui de Rouen a décidé qu’il n’appliquerait pas Parcoursup, après un appel de 75 enseignants jugeant le dispositif « injuste, discriminatoire et ingérable ». Le 17 avril, six présidents d’universités [2] demandent l’ouverture de négociation. Selon eux, malgré « de vraies avancées pour accompagner la diversité des publics et leur permettre une meilleure intégration dans les cursus de formation supérieure », la réforme « instaure également, par le tri des lycéens, des modalités permettant la sélection des étudiants en fonction de leur profil académique ». Ils critiquent également les « faibles moyens » qui « ne permettent pas d’améliorer l’accueil et la réussite des étudiants ».

Une main tendue au mouvement, loin de la posture du président de Paris 1, Georges Haddad, qui compare l’occupation à un « capharnaüm », avec « la violence, la drogue, le sexe même »... Nous ne sommes plus très loin du « sida mental », diagnostiqué chez les jeunes participant au mouvement de 1986 par un éditorialiste du Figaro Magazine. Quoi qu’il en soit, une coordination nationale étudiante se réunira à l’université de Saint-Denis le 21 avril. A suivre...

Mathieu Paris et Ivan du Roy

En photo : manifestation étudiante et lycéenne le 10 avril à Paris / © Serge d’Ignazio

Notes

[1Des chiffres proches de ceux des syndicats étudiants, quand le ministère de l’Enseignement Supérieur évoque « un peu moins d’une quinzaine d’universités » (lire ici).

[2Rouen-Normandie, Rennes-II, Lumière-Lyon-II, Le Mans, Poitiers et Bordeaux-Montaigne