Paupérisation

Mal-logement en France : le nombre de locataires expulsés bat un triste record

Paupérisation

par Sophie Chapelle

Quatre millions de personnes souffrent de mal-logement en France ou d’absence de logement personnel. L’estimation est issue du dernier rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre [1]. Au total, près de 15 millions de personnes – soit près d’un quart de la population française – sont touchées par la crise du logement sous des formes diverses : précarité énergétique, risque d’expulsion locative, surpeuplement dans le logement...

Ce nouveau rapport atteste d’une nette dégradation de la situation depuis une décennie. Le nombre de personnes sans aucun domicile a augmenté de 50 % entre 2001 et 2012, pour atteindre 143 000. Celui des personnes « en hébergement contraint chez des tiers » – 643 000 – grimpe de 19 % entre 2002 et 2013. Les familles qui occupent un logement surpeuplé – c’est à dire qu’il leur manque une pièce au regard des normes d’occupation – approchent le million, alors que la tendance depuis des décennies était plutôt à la baisse [2].

Record d’expulsions locatives

493 000 ménages locataires – soit environ 4,5% des locataires, principalement dans le parc social [3] – étaient en situation d’impayés de loyers ou de charges au moment de l’enquête, s’exposant ainsi à une procédure d’expulsion locative. En 2015, 168 775 procédures d’expulsion ont été lancées, dont les trois quarts ont abouti à une décision d’expulsion, un chiffre en augmentation constante depuis 10 ans. Le nombre d’expulsions locatives avec concours de la force publique a atteint son record en 2015, avec 14 363 expulsions (+ 24 % par rapport à 2014). « Qu’elles parviennent ou non à leur terme, ces procédures, qui découlent de la paupérisation d’une partie de la population exposée à des loyers et charges trop chers et de la fragilisation des mécanismes d’aide, en particulier des aides au logement, entraînent de graves conséquences pour les ménages concernés », souligne le rapport.

Seul indicateur encourageant : le confort sanitaire de base s’améliore, puisque 99 % des logements disposent désormais d’eau courante, de WC intérieurs et de chauffage. Mais bien d’autres critères d’inconfort, plus répandus, peuvent se cumuler et avoir des conséquences dommageables pour la santé ou la sécurité des habitants, comme l’humidité, des problèmes d’isolation, des infiltrations d’eau ou une installation électrique dégradée. En 2013, 10 % des logements, soit près de 3 millions, cumulaient trois ou plus de ces défauts. Les Français sont 44 % de plus qu’en 2006 à se priver de chauffage à cause de son coût. Le noyau dur de la précarité énergétique, composé des ménages modestes ayant eu froid pour des raisons liées à la précarité s’élève à plus de 3,5 millions de personnes.

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L’austérité budgétaire freine les mesures prises

Face à ces inquiétantes évolutions, quelle a été l’action gouvernementale au cours du quinquennat écoulé ? « Le quinquennat a été marqué par une activité législative assez dense en lien avec le logement », relève la Fondation Abbé Pierre, énonçant la loi relative à la mobilisation du foncier public, des ordonnances destinées à faciliter et accélérer les projets de construction, la loi pour la ville et la cohésion urbaine, la loi pour la transition énergétique... Mais la déception est là : « Bien des chantiers ont été ouverts, bien des actions ont été entreprises, mais ils se sont souvent heurtés à des renoncements politiques en chemin et à une austérité budgétaire qui empêche d’apporter une réponse à la hauteur de la gravité de la situation. »

La fondation avance plusieurs solutions pour sortir de la crise du logement. En premier lieu, « une sécurité sociale du logement » qui implique pour les pouvoirs publics d’appliquer une politique du « logement d’abord ». Cela passe notamment par la construction de 150 000 logements « vraiment » sociaux par an, en respectant les règles d’attributions prioritaires. Les personnes les plus mal logées, privées de domicile personnel, obligées de recourir aux différentes solutions d’urgence ou insuffisamment prises en compte lors de l’attribution des logements sociaux doivent pouvoir en bénéficier. Des propositions pour réguler les marchés de l’immobilier, à la location comme à l’achat, sont également avancées. Lors de la présentation des mesures, le 31 janvier, quatre candidats ont personnellement répondu à l’invitation de la fondation : Benoît Hamon, Yannick Jadot, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. François Fillon avait envoyé l’une de ses représentantes, Marine Le Pen, dont le programme rend les « immigrés » responsables de la crise du logement, n’était pas conviée.

Sophie Chapelle

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Ci-dessous, extraits du rapport annuel 2017 de la Fondation Abbé Pierre (cliquez ici pour agrandir l’image) :

Notes

[1Chiffres essentiellement issus de l’édition 2013 de l’enquête nationale Logement de l’Insee et de l’actualisation de données administratives.

[2+ 17 % entre 2006 et 2013 pour le surpeuplement accentué et + 6 % pour le surpeuplement modéré

[3Selon l’Insee, la France compte environ 28 millions de résidences principales, parmi lesquelles 39% sont louées. Selon la fondation, 6,5% des locataires du parc social et 2,9% du parc privé étaient en situation d’impayés