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Loi « Sécurité globale » : le Sénat confirme les mesures les plus attentatoires aux libertés

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par Thalia Creac’h

La commission des lois du Sénat a apporté des modifications dérisoires. Une semaine de mobilisation est prévue, avec une grande marche le 20 mars.

Le débat sur le projet de loi « Sécurité globale » en commission des lois du Sénat a eu lieu à huis-clos le 3 mars. Plusieurs amendements ont été apportés par les sénateurs sur ce texte vivement controversé. Ce sont notamment les articles 21, 22 et 24 qui sont pointés du doigt par les détracteurs de la loi. L’article 21 donne la possibilité aux policiers d’avoir directement accès aux enregistrements de leur caméras-piétons. L’amendement 419 de l’article étend cette prérogative aux policiers municipaux. L’article 22 permet aux forces de l’ordre d’employer des drones, non seulement pour surveiller des espaces exposés aux risques de vols, de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants, mais également pendant les manifestations, qui constituent pourtant une liberté démocratique fondamentale. L’article 24, quant à lui, punit d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende la diffusion d’images de membres des forces de l’ordre « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale ».

Dans l’ensemble, cette loi sécuritaire est considérée par les organisations de défense des droits humains ou les syndicats de journalistes comme un menace grave pour les libertés et la protection de la vie privée. Un collectif d’organisations, d’associations, de syndicats, de journalistes, de magistrats, d’avocats, de défenseurs des libertés publiques et de victimes des violences policières – la coordination #StopLoiSecuriteGlobaledemandent le retrait de ces trois articles.

Quelles modifications le Sénat, à majorité de droite, a-t-il introduit à la loi ? Elles sont loin de satisfaire celles et ceux qui défendent les libertés publiques. « Le texte adopté [mardi 3 mars] est aussi sécuritaire que celui adopté par l’Assemblée nationale », prévient La Quadrature du Net, association de protection des libertés fondamentales.

Surveillance « aéroportée » des manifestations

L’article 24 est désormais divisé en deux infractions. La première punit « la provocation à identifier » (sic) à l’encontre d’un policier ou d’un militaire, « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à [son] identification » [1] , tandis que la seconde sanctionne le traitement de données personnelles de fonctionnaires, si ce traitement contrevient à la loi informatique et liberté et au règlement général sur la protection des données (RGPD). « Ces nouvelles formules sont si confuses et redondantes avec le droit existant qu’il faut regretter que l’article n’ait pas été entièrement supprimé. On peut toutefois espérer que, ainsi modifié, l’article 24 ne fasse plus diversion et que le débat puisse enfin se recentrer sur les mesures de surveillance au cœur de la proposition de loi », estime la Quadrature.

Sur les drones – ou plutôt « dispositifs aéroportés de captation d’images » dans la langue parlementaire –, le texte n’a quasiment pas été modifié. « Les rapporteurs ont appliqué une technique éculée en matière de faux-semblants législatifs : réécrire un article pour lui faire dire la même chose avec des mots à peine différents. » La surveillance « aéroportée » des manifestations figure toujours en bonne place, juste avant « la prévention d’actes de terrorisme ». Seul point positif : l’interdiction de la reconnaissance faciale par les drones.

De plus en plus de monde autorisé à visionner les images de vidéosurveillance

Jusqu’ici, seuls les agents de la police nationale et de la gendarmerie pouvaient visionner des images de vidéosurveillance. Le Sénat a élargi cette attribution aux agents de la police municipale et de la ville de Paris, des communes, des communautés de communes et groupements similaires ainsi que des services de sécurité de la SNCF et de la RATP. Si de plus en plus de personnes auront accès aux images de vidéosurveillance, les protections restent maigres : les agents communaux qui regarderont qui se déplace dans quelle rue seront par exemple placés « sous l’autorité exclusive du maire » pendant le visionnage. Les personnels de la SNCF et de la RATP scrutant les quais de gare et du métro seront « individuellement désignés et dûment habilités par le représentant de l’État dans le département ». Pour la Quadrature, ces changements sont uniquement de « façade ». Seule petite avancée : les sénateurs ont supprimé l’article 20 bis, qui simplifiait la retransmission en direct des images capturées par des caméras de surveillance dans les halls d’immeuble. Bien que cette disposition soit « inconstitutionnelle », elle « risque malheureusement de réapparaître en commission mixte paritaire au moment des discussions avec l’Assemblée nationale », alerte la Quadrature.

L’association pointe les décisions paradoxales des sénateurs sur la reconnaissance faciale : ils ont rejeté les amendements permettant une reconnaissance faciale de masse. Mais ils ont en parallèle refusé l’interdiction pour une période de deux ans des systèmes biométriques – les technologies de surveillance permettant d’identifier un individu via ses caractéristiques physiques ou comportementales – utilisés par la police. « La majorité et la droite souhaitent bien que la loi "Sécurité globale" renforce le dispositif de reconnaissance faciale autorisé depuis 2012 par décret, mais pas grand monde ne semble prêt à assumer la responsabilité d’autoriser explicitement un tel régime dans la loi. L’hypocrisie est totale quand les rapporteurs prétendent interdire ce dispositif sur les drones mais refusent toute interdiction plus large », analyse La Quadrature du Net.

La proposition de loi ainsi modifiée par le Sénat sera discutée en séance publique les 16, 17 et 18 mars 2021. Dans ce contexte, la Quadrature appelle à « maintenir la pression sur les sénateurs pour qu’ils aillent beaucoup plus loin que les rapporteurs et mettent un coup d’arrêt définitif à ce texte. » La coordination contre cette loi appelle à « une grande semaine d’actions contre la loi « Sécurité globale » et pour la restauration de nos libertés » du 13 au 20 mars, qui se conclura par une grande marche à Paris le 20 mars. « Les sénateurs, quel que soit leur bord politique, ont une responsabilité déterminante : montrer qu’au-delà des calculs politiciens et de la surenchère sécuritaire permanente qui a présidé à l’élaboration de ce texte, ils restent attachés aux libertés publiques inscrites dans la Constitution et aux droits humains internationalement reconnus », écrit la coordination.

Photo : © Anne Paq

Notes

[1Voir ici.