Santé

L’espérance de vie des travailleurs belges de l’amiante amputée de 20 ans

Santé

par Nolwenn Weiler

La vie semble douce à Harmignies, petit village belge bucolique d’à peine 800 âmes, situé à proximité de la frontière française. La plupart des anciens y passent la barre des 80 ans. À condition toutefois de n’avoir jamais travaillé dans l’usine Coverit (groupe Eternit), où l’on a fabriqué de l’amiante-ciment jusqu’en 1987 : les anciens travailleurs de l’amiante vivent rarement au delà de 60 ans ! Même espérance de vie pour leurs collègues des usines Eternit de Kapelle-op-den-Bos et Tisselt, deux communes situées au nord-est de la Belgique. Cancer des poumons, abestose, mésothéliome : les ouvriers sont emportés par les maladies bien connues de l’amiante, souvent vingt ou trente ans après leurs premiers contacts avec la fibre tueuse.

Ce sont les démographes de l’Association pour le développement de la recherche appliquée en sciences sociales (Adrass) qui viennent de mettre au jour ces vingt ans de vie dont les ouvriers de l’amiante ont été privés. Mais c’est Michel Verniers, ancien ouvrier de Coverit et délégué syndical, aujourd’hui décédé, qui a, le premier, noté une surmortalité parmi ses collègues dans les années qui ont suivi la fermeture de l’usine en 1987. Il commence alors à établir une liste des travailleurs décédés et malades. « Cette liste a constitué le point de départ de notre travail », a souligné le démographe de l’Adrass André Lambert, cité par l’Institut syndical européen (Etui).

Personne n’a jamais dit aux ouvriers qu’ils avaient affaire à un danger mortel. « Pendant des décennies, il n’y a eu aucune protection, raconte Michel Verniers en 2006 [1] : L’amiante arrivait en sacs. Ceux-ci étaient découpés manuellement et le contenu était versé par les ouvriers dans un broyeur. Les fibres d’amiante volaient partout dans l’usine, transformant les ouvriers en bonhommes de neige. Chaque semaine, la chambre à amiante était nettoyée par des ouvriers chargés de décoller les résidus d’amiante avec des grattoirs, puis nous nettoyions à l’eau. »

Aujourd’hui, à Harmignies, sur les 250 travailleurs que comptait l’usine à sa fermeture en 1987, 116 sont morts et 49 sont malades. Un bilan déjà lourd auquel il faut ajouter les personnes malades n’ayant jamais travaillé dans l’usine. Les épouses, par exemple, qui manipulaient les vêtements plein d’amiante de leurs maris pour les laver, mais aussi les riverains. C’est ainsi que Françoise Jonckheere, dont le mari (décédé en 1987) travaillait à l’usine de Kapelle-op-den-Bos, et qui habitait à proximité de l’usine, a contracté un cancer de la plèvre en 1999, qui l’a emportée en 2000. Trois de leurs fils sont aussi décédés de cancers de l’amiante. La plainte déposée par Françoise Jonckheere avant son décès a fini par aboutir : en novembre 2014, le tribunal civil de Bruxelles a condamné la société Eternit à verser 250 000 euros à la famille Jonckheere.

En Belgique, comme ailleurs en Europe et dans le reste du monde, les victimes de l’amiante se battent pour que les responsables de leurs souffrances soient condamnés au pénal. En France, le dossier patine. Il y a eu un espoir en Italie, en juin 2013, avec la condamnation à 18 ans de prison de Stephan Schmidheiny, ancien directeur d’Eternit, pour le décès de près de 3 000 (!) ouvriers. Mais la Cour de cassation a annulé ce verdict en novembre 2014 et a acquitté l’accusé, jugeant les faits prescrits.

Nos articles à relire :
 « La “vallée de la mort” en Normandie continue de tuer ses habitants et ses ouvriers », janvier 2013.
 « Scandale de l’amiante : des vies réduites en poussière », mai 2011.

Notes

[1Ces citations sont tirées d’un article rédigé par Denis Grégoire et paru en 2007 dans Hesa Newsletter, magazine de l’Etui.