Luttes sociales

Le travail de nuit à Monoprix est-il vraiment socialement utile ?

Luttes sociales

par Nolwenn Weiler

Les magasins parisiens de l’enseigne Monoprix (groupe Casino) vont-ils continuer à ouvrir le soir après 21h ? Le comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (Clic P) se bat depuis plusieurs mois pour faire reconnaître le caractère illégal de ces ouvertures au-delà de 21h [1]. « Le Code du travail est clair : le travail de nuit est strictement encadré et doit rester "exceptionnel", rappelle le syndicat commerce indépendant démocratique (SCID). Il doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ». L’envie d’aller faire ses courses tard le soir ne peut être mise sur le même plan que les besoins de santé ou de sécurité publiques par exemple, qui exigent de faire travailler des gens la nuit.

Les emplettes nocturnes sont inutiles

Le 7 septembre dernier, la cour d’appel de Paris a donné raison aux salariés et syndicats qui se battent contre le travail de nuit en condamnant Monoprix à « cesser d’employer des salariés dans ses établissements parisiens entre 21h et 6h sous astreinte de 30 000 euros par infraction constatée ». Les juges ont souligné l’absence d’utilité sociale du travail de nuit chez Monoprix. Ils ont par ailleurs estimé que « la continuité de l’activité économique de l’entreprise » n’était pas mise à mal par une fermeture à 21h. L’accord qui avait été signé en décembre 2016 par les syndicats CFDT et CGC pour « encadrer » le travail de nuit à Monoprix a été invalidé par la cour d’appel.

« Les compensations prévues dans cet accord étaient largement insuffisantes, et en deçà de ce qu’impose la loi, relève le Clic P. Monoprix ne payait pas le transport aux salariés pour qu’ils rentrent chez eux la nuit, en l’absence de transports publics. Monoprix leur proposait de leur prêter de l’argent pour qu’ils puissent s’acheter un véhicule personnel… Un prêt avec intérêts bien sûr. L’accord prévoyait également une aide limitée à la garde des enfants, à condition que ceux-ci soient âgés de moins de 10 ans ! Enfin l’accord octroyait généreusement aux salariés travaillant la nuit… un sandwich. » La Cour d’appel a jugé que ces compensations étaient insuffisantes.

CFDT et CGC signent de nouveaux accords

Mais les quelques cinquante Monoprix de Paris ne permettent toujours pas, pour le moment, à leurs salariés de partir avant l’échéance de 21h – ce qui signifierait fermer les magasins vers 20h30. Les cinq magasins situés dans une zone touristique internationale (ZTI), comme celui des Champs-Élysées, continuent même d’ouvrir jusqu’à minuit. « Ils sont dans l’illégalité depuis que la décision de justice leur a été signifiée par voie d’huissier il y a une dizaine de jour », décrit Karl Ghazi, de la CGT Commerce.

Interrogée par Basta!, la direction de Monoprix a répondu que « un accord a été trouvé entre la direction et les syndicats concernant le travail après 21h ». Deux nouveaux accords ont été signés, l’un pour les magasins situés en zone touristique internationale, le second pour les autres magasins. Les dits accords prévoient de meilleures rémunérations et compensations. Ils ont été signés par la CGC, et la CFDT. Celle-ci estime avoir ainsi préservé des emplois. Selon Patricia Virfolet, déléguée syndicale CFDT de Monoprix, « les salariés sont très en colère [depuis l’annonce de la décision de la cour d’appel, ndlr] car ces heures de travail en moins représentent une baisse de pouvoir d’achat. Notamment pour les nombreux étudiants qui travaillent après leurs cours. »

Quand les patrons lancent des pétitions

On retrouve cette « envie », ou ce « besoin », de travailler la nuit dans une pétition adressée au gouvernement par un collectif informel de travailleurs réclamant « le droit de pouvoir travailler aux horaires qui [leur] correspondent le mieux ». Apparemment lancée par des salariés et des clients, la pétition a en fait été initiée par Lionel Cuffet, directeur du Monoprix Passy Plaza et membre de la Fondation Monoprix. Pour le syndicat commerce indépendant et démocratique (SCID), « il s’agit donc bien d’une initiative patronale », que l’organisation syndicale assimile à une opération de lobbying.

« Que des salariés aient signé cette pétition, nous n’en doutons pas. Car quand votre directeur vous demande de signer une pétition, il est difficile de refuser. » La démarche rappelle celle de ces salariés des enseignes de bricolage qui souhaitaient absolument qu’on leur laisse le droit de travailler le dimanche, il y a quelques années. Présentés comme spontanés, ces collectifs s’étaient avérés financés par leurs directions (Voir notre article). « On a vécu la même chose lors de nos victoires sur les ouvertures dominicales, lorsque la justice sanctionnent les patrons qui ne respectent pas la loi, ces derniers font du lobbying intensif pour… changer la loi. »

« Monoprix avait dit qu’elle se mettrait en conformité avec la décision de la cour d’appel à partir de ce mardi 16 octobre », reprend Karl Ghazi. S’ils ne le font pas, les syndicats opposés au travail de nuit dans les supermarchés sont décidés à saisir le juge pour que l’enseigne soit sanctionnée, et paie 30 000 euros à chaque fois qu’un magasin ouvre au-delà de 21h. Quant aux nouveaux accords signés par la CFDT et la CGC, l’intersyndicale a un mois pour en contester l’éventuelle illégalité. Les conditions envisagées pour les magasins situés en zone touristique internationale seront peut-être conformes au droit. Depuis la loi Macron de 2015, les enseignes situées dans ces zones peuvent en effet recourir plus facilement au travail après 21h. Selon Karl Ghazi, « les autres magasins ne pourront pas plus que le mois dernier prouver l’utilité sociale d’une ouverture tardive. »

Notes

[1Le CLIC P réunit la CGT commerce de Paris, Sud commerces et services, le SECI Unsa, le SCID.