Liberté de la presse

Le journal indépendant suisse Le Courrier attaqué par un magnat du pétrole

Liberté de la presse

par Rachel Knaebel

L’attaque des médias indépendants par des grands entrepreneurs n’est malheureusement pas l’apanage de la France. Le quotidien suisse indépendant Le Courrier, basé à Genève, est à son tour touché par plusieurs plaintes, au civil et au pénal, déposées par un riche négociant en pétrole, Jean Claude Gandur. L’homme d’affaires milliardaire, qui est aussi collectionneur d’art, attaque le quotidien pour diffamation, calomnie et atteinte à la personnalité. En cause : un portrait du chef d’entreprise publié par le journal le 16 mai dernier, à la veille d’un conseil municipal de la ville de Genève où était discuté la participation de l’entrepreneur à un grand projet de rénovation du Musée d’art et d’histoire de la métropole suisse. Les plaintes de l’homme d’affaires ont été déposées en juin. Mais des tentatives de conciliation étaient en cours jusqu’ici. Raison pour laquelle le journal a attendu pour faire part de la procédure engagée contre lui.

L’article incriminé se contente pourtant de retracer le parcours de l’homme d’affaires, depuis ses études de droit à Lausanne jusqu’à ses activités de négociant en pétrole dans des zones instables comme le Kurdistan irakien, le Nigeria, la Sierra Leone, la Centrafrique ou la Côte d’Ivoire, avec son entreprise Addax and Oryx Group (AOG). Des zones que le journal qualifie d’« eaux troubles » mais sans jamais accuser le négociant de pratiques condamnables. Si l’article mentionne bien les poursuites judiciaires et les condamnations pour blanchiment dont ont fait l’objet d’anciens partenaires et employés de l’entreprise, le rédacteur de l’article précise bien : « De fait, en presque quarante ans passés à ferrailler sur les marchés agités du pétrole, le Suisse et ses sociétés n’ont jamais vu la moindre condamnation venir entacher leur réputation. »

Le procureur général suisse chargé d’examiner la plainte au pénal l’avait d’ailleurs classée sans suite fin novembre. Mais l’homme d’affaires a déposé un recours. Les plaignants exigent le retrait de l’article du site internet et « l’interdiction au Courrier de porter atteinte dans le futur à la personnalité » de l’homme d’affaires, indique le journal. Le contexte de ces plaintes n’est pas neutre dans le débat politique genevois. Le dossier du Musée d’art et d’histoire de Genève, qui veut s’associer financièrement à l’homme d’affaires, doit être soumis à référendum citoyen le 28 février prochaine.

« Il n’est pas anodin qu’un milliardaire s’attaque à un journal indépendant, notoirement connu pour ses difficultés financières et pour sa ligne éditoriale qui tranche dans le paysage médiatique », juge Le Courrier dans les pages de son édition de mardi 12 janvier. « Une grande part de mes sources est dans le domaine public depuis des années, publiées notamment par des journaux importants, et qui n’ont, à notre connaissance, jamais été attaqués pour ces écrits. Pourquoi ? », s’interroge aussi l’auteur de l’article incriminé, Benito Perez. Dans cette affaire, il risque selon la loi suisse une sanction pénale pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Le journal pourrait aussi se voir infliger une pénalité de plus 20 000 francs suisses, soit plus de 18 000 euros.

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