Démocraties

La liberté de la presse de plus en plus menacée dans le monde

Démocraties

par Samy Archimède

La liberté de la presse recule partout, y compris dans les pays jusque-là relativement démocratiques, selon l’association Reporters sans frontières.

Dans son classement mondial publié le 26 avril, Reporters sans frontières (RSF) s’alarme du recul de la liberté de la presse dans de nombreux pays, y compris dans les démocraties. 2017 est l’année du « grand basculement », soutient l’association. Elle constate « la banalisation des attaques contre les médias et le triomphe d’hommes forts qui font basculer le monde à l’ère de la post-vérité, de la propagande et de la répression, notamment dans les démocraties. » Passant au crible 180 pays, RSF s’inquiète notamment de l’accession au pouvoir de Donald Trump qui a qualifié à plusieurs reprises la presse d’« ennemie du peuple », tout en rappelant le piètre héritage laissé par son prédécesseur qui avait « déclaré la guerre aux lanceurs d’alerte ».

Dans deux pays sur trois, une situation aggravée

« La liberté de la presse n’a jamais été aussi menacée », résume l’ONG créée en 1985. « Au total, près des deux tiers (62,2%) des pays répertoriés ont enregistré une aggravation de leur situation. » Trois pays ont rejoint les bancs des plus mauvais élèves : le Burundi (160e sur 180), l’Égypte (161e) et Bahreïn (164e). L’Égypte, où dix journalistes ont été tués depuis la « Révolution de janvier 2011 », serait devenue « l’une des plus grandes prisons du monde » pour les professionnels de l’information.

Comme chaque année depuis douze ans, la palme des pays qui piétinent le plus les droits de la presse revient à la Corée du Nord (180e), le Turkménistan (178e) et l’Érythrée (179e). Dans ce pays, avant dernier du classement, « la presse, comme toute la société, est soumise à l’arbitraire absolu du président Issaias Afeworki », observe RSF. « Un prédateur de la presse » qui fait des émules sur tous les continents, notamment dans « l’espace post-soviétique », au Moyen-Orient et en Afrique.

En Syrie, 211 journalistes tués en six ans

Sans surprise, les zones de conflit sont les pires endroits pour la profession. Six ans après le début de la guerre, la Syrie (177e) est devenue « le pays le plus meurtrier au monde pour les journalistes », selon les auteurs du rapport. A ce jour, 211 journalistes et journalistes-citoyens y auraient été tués (19 en 2016). Un macabre bilan qui se rapproche encore un peu plus de celui de la seconde guerre d’Irak, « conflit le plus meurtrier pour les journalistes depuis la Seconde Guerre mondiale ». Dans ce pays, entre mars 2003 et août 2010, pas moins de 230 personnes avaient payé de leur vie l’exercice de leur métier.

Plongé lui aussi dans un grave conflit, le Yémen (166e) n’est guère mieux loti : « Agressions, enlèvements et menaces sont le lot quotidien [des journalistes] lorsqu’ils ne sont pas victimes des bombardements de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite », dénonce l’ONG. De même, en Libye (163e), « informer est une mission presque impossible » aujourd’hui. Enfin, en Somalie, les journalistes sont pris en tenaille entre les islamistes et les autorités. Quand ils refusent l’autocensure, on les enferme arbitrairement ou on interdit leur média.

Dans ce contexte de régression à l’échelle mondiale, RSF craint désormais une rapide et prochaine augmentation du nombre de pays situés dans « la zone noire », ces régions où la situation de la presse est considérée comme très grave.

Turquie et Mexique : la descente aux enfer se poursuit

La Turquie est « l’un des cas les plus préoccupants ». En douze ans, le pays a perdu 57 places au classement mondial de la liberté de la presse (155e aujourd’hui). « Mois après mois, l’état d’urgence a permis aux autorités de liquider d’un trait de plume des dizaines de médias. (…) Une centaine de journalistes ont été jetés derrière les barreaux sans jugement, faisant de la Turquie la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias ». La Chine (176e) a également son record : elle constitue la « première prison du monde pour les journalistes-citoyens et les blogueurs » : on en compterait plus de 100 dans les geôles du président Xi Jinping.

Comme la Turquie, le Mexique n’en finit pas de s’enfoncer dans les profondeurs du classement. En quinze ans, il est passé de la 75e à la 147e place après l’assassinat de 10 journalistes en 2016. Juste derrière, on retrouve la Russie, où RSF dénonce la pression grandissante exercée sur les médias indépendants depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin il y a cinq ans : « Lois liberticides, asphyxie ou reprise en main de titres de référence, blocage de sites d’information… »

Norvège, Costa Rica et Jamaïque, toujours dans le Top 10

Au milieu de ce sombre tableau, les pays scandinaves et les Pays-Bas continuent de briller par la liberté qu’ils accordent aux médias. Leader du classement 2017, la Norvège, dont la liberté de la presse est inscrite dans la constitution, se distingue par la loi anti-concentration qu’elle a adoptée en 1997 : celle-ci « interdit aux grands groupes de presse de posséder plus de 40% des capitaux de chaque chaîne de télévision, radio, ou journal », note RSF. Les journaux d’opinion y perçoivent des subventions directes, alors que les généralistes n’ont que des aides indirectes.

La surprise vient des Caraïbes et de l’Amérique centrale. Après être entré en 2015 dans le top 10, le Costa Rica, doté d’une « législation avancée en matière de liberté de l’information », confirme sa 6e place. Une exception, cependant, dans un paysage régional marqué par « la corruption et l’insécurité », tempère RSF. La Jamaïque (8e) affiche une étonnante stabilité en haut du palmarès. Depuis 2009, on n’y a enregistré « aucun fait sérieux de violence ou de menace contre la liberté de la presse ». Une loi adoptée en 2013 dépénalise même la diffamation.

En France, liberté sous caution

Trente-neuvième du classement, la France reste loin derrière les meilleurs. La presse a beau y être « globalement libre », la main-mise de grands industriels crée « des conflits qui font peser une menace sur l’indépendance éditoriale, et même sur la situation économique des médias », souligne RSF. Et l’ONG de détailler les démêlés d’iTélé – rebaptisée CNews – avec le nouveau patron de Canal plus, Vincent Bolloré, qui ont conduit au départ d’une centaine de journalistes en l’espace de quelques semaines.

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RSF constate en outre « une recrudescence de pratiques violentes des forces de l’ordre contre des reporters » , lors des manifestations de 2016, et « une hostilité grandissante »  des politiques et de la population à l’égard des journalistes pendant la campagne présidentielle. Le 23 avril, alors que des millions de Français étaient appelés à voter, le photographe Jacob Khrist a été interpellé à Hénin-Beaumont, fief de Marine Le Pen, et placé en garde à vue pendant 36 heures. Le soir, lors de manifestations antifascistes à Paris, le photographe Mannone Cadoret témoigne s’être fait saisir ses photos, insulter et frapper par des policiers en civil. Enfin, le 26 avril, la journaliste de CNews Audrey Pulvar était suspendue pour avoir signé une pétition intitulée « Féministes, nous ne voulons pas du Front national. Nous votons Emmanuel Macron ! ».

Samy Archimède