Neutralité du net

Le Parlement européen va-t-il instaurer l’internet à deux vitesses ?

Neutralité du net

par Mathieu Lapprand

La Quadrature du net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, sonne l’alarme. Un vote déterminant pour la « neutralité du net » se tiendra la semaine prochaine au Parlement européen. La neutralité du net, c’est le fait que les opérateurs de communications se contentent de transmettre les données sur le réseau internet sans les filtrer ou les discriminer – ralentir certains flux pour en privilégier d’autres, par exemple. Alors que ce principe est difficilement respecté aujourd’hui par les opérateurs, le texte qui risque d’être discuté au Parlement vise au contraire à légaliser le filtrage des flux par les opérateurs. A quelques mois des élections, les parlementaires montrent l’influence déterminante des groupes industriels et leur mépris pour les positions des associations citoyennes.

La Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie (ITRE) du Parlement européen votera lundi 24 février sur une proposition de règlement élaborée par la Commissaire européenne Neelie Kroes. Cette proposition établit « des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté ». En clair, le texte a notamment pour objet de définir juridiquement la neutralité du net et ses éventuelles exceptions.

Un Internet à deux vitesses

Plusieurs commissions ont émis, ces dernières semaines, des propositions d’amendements sur ce texte, pour protéger la neutralité du net. Mais la rapporteure du projet, Pilar Del Castillo Vera, pourrait soumettre au vote de la commission ITRE un texte intégrant des « amendements de compromis », sans tenir compte des avancées des dernières discussions. Résultat : « Le principe de la neutralité du Net est en phase d’être complètement dénaturé afin de satisfaire les intérêts des opérateurs télécoms », alerte La Quadrature du net. Le texte adopté en commission sera soumis au Parlement. Si cette définition de la neutralité du net était validée, ce serait la porte ouverte pour des services internet à la carte. Les consommateurs pourraient avoir à payer à leurs fournisseurs d’accès à Internet (FAI) des frais supplémentaires pour chaque service en ligne. Les FAI pourraient également bloquer certains contenus, sans aucune contrôle du pouvoir judiciaire, prévient La Quadrature.

Les opérateurs de télécommunications pourraient à leur guise ralentir certains types de flux (le peer-to-peer pourrait alors être légalement bridé) tout en permettant à d’autres types de flux de bénéficier d’une distribution normale. Les opérateurs pourraient également conclure des accords avec des fournisseurs de services Internet comme YouTube ou Netflix, pour garantir des débits importants à leurs vidéos en tant que « services spécialisés ».

« Dans le cadre de ces négociations secrètes, les eurodéputés en charge de ce dossier sont sur le point d’abandonner la neutralité du Net, laissant les grandes entreprises discriminer nos communications Internet et dominer l’économie numérique, souligne Félix Tréguer, cofondateur de La Quadrature du Net. Au cours des prochains jours, les représentants européens soucieux du bien commun qu’est Internet devront faire preuve de leadership politique, défendre une définition de la neutralité du Net garantissant ce principe, et s’assurer qu’il ne soit pas contourné par les soi-disant "services spécialisés". »

« Correctement amendé, [ce texte] pourrait assurer l’application inconditionnelle de la neutralité du Net dans toute l’Union européenne », précise l’association, qui lance une campagne d’information et de mobilisation. Elle a choisi de cibler les députés centristes et libéraux (membres de l’ALDE) et socio-démocrates (groupe S&D), menés respectivement par le député danois Jens Rohde et la Française Catherine Trautmann, qui peuvent s’opposer à la rapporteure et influencer de manière positive l’issue du vote.

 Le site de La Quadrature avec les enjeux du débat : savetheinternet
 Un service pour appeler gratuitement les permanences de députés.

Illustrations : http://savetheinternet.eu