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Accord sur le climat : une décision de l’OMC sabote l’essor des énergies renouvelables

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par Maxime Combes

L’accord sur le climat, négocié lors de la COP21 à Paris en décembre dernier, sera officiellement signé ce vendredi 22 avril à New York, ouvrant la porte à un long processus de ratification. Prévoyant de contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C, l’accord pourrait néanmoins avoir un effet limité sur la baisse de l’utilisation des énergies fossiles. En coulisses, les règles de l’OMC limitent considérablement les politiques de transition énergétique. L’Inde, dont le dispositif de soutien au solaire vient d’être invalidé par l’OMC, en fait l’amère expérience. Les règles du commerce international prendront-elles le pas, une fois de plus, sur la lutte pour le climat ?

Souvenons-nous. Lundi 30 novembre 2015. Journée d’ouverture de la Conférence sur le Climat (COP21) à Paris, avec une succession de discours présidentiels et ministériels visant à placer les négociations sur les bons rails. L’occasion pour François Hollande et Narendra Modi, Premier ministre indien, d’annoncer le lancement de l’Alliance solaire internationale [1]. Objectif ? Accélérer le déploiement de l’énergie solaire dans les pays en développement, notamment pour la centaine d’entre eux situés entièrement ou partiellement entre les Tropiques du Cancer et du Capricorne. La photo est belle, les discours enthousiastes et les commentateurs se félicitent. La COP21 est bel et bien sur de bons rails [2].

L’OMC, vent debout contre l’énergie solaire

Retour à la réalité le 24 février 2016. L’information est passée sous les radars des médias francophones. C’est pourtant le jour où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a jugé que le dispositif de soutien à l’énergie solaire en Inde était non-conforme aux règles du commerce international. Il serait, estime-t-elle, trop favorable aux entreprises locales au détriment des entreprises étrangères [3]. Ce dispositif impose en effet aux compagnies d’électricité d’utiliser des cellules et des modules solaires fabriqués en Inde pour pouvoir bénéficier de subventions. Du moins, le temps que l’énergie solaire devienne compétitive face au charbon, qui fournit aujourd’hui encore près de 60 % de l’électricité.

C’est en 2014 que l’Inde s’est doté d’objectifs très ambitieux visant à installer 100 gigawatts d’énergie solaire d’ici à 2022. Davantage que les cinq plus grands producteurs réunis – Allemagne, Chine, Italie, Japon, États-Unis. Mais voilà. Les États-Unis sont passés par là et n’ont pas apprécié que l’Inde mette en place un dispositif qui limite, de fait, l’importation de cellules et modules photovoltaïques américains sur le marché indien. La Maison-Blanche a donc porté le cas devant l’Organisme des règlements des différends de l’OMC et a obtenu gain de cause : les règles du commerce international interdisent les clauses fixant des exigences de contenu national dans les dispositifs de soutien public.

Contraints de démanteler un dispositif créateur d’emplois

De telles clauses sont pourtant des instruments utiles pour des gouvernements nationaux – ou même locaux si l’on pense aux appels d’offres – désireux de soutenir le dynamisme de l’industrie et de l’innovation locales. Ces clauses pourraient être au cœur de vastes politiques de transition écologique et sociale visant à relocaliser des secteurs productifs et assurer des emplois sur les territoires. Malheureusement, ces clauses sont la plupart du temps contraires aux règles de l’OMC. Des règles que les États membres ont édictées il y a près de vingt ans, comme la règle du « traitement national » qui implique d’accorder les mêmes avantages à des multinationales qu’aux entreprises locales.

Au cours de l’examen du cas Indien, le gouvernement Modi fait valoir que son programme solaire va l’aider à respecter les engagements pris lors de la COP21. Des engagements salués par tous les observateurs le 30 novembre dernier, lorsque l’Alliance solaire internationale est dévoilée. Mais l’OMC rejette cet argument. L’Inde vient de décider de faire appel de cette décision, ce jeudi 21 avril. En cas de confirmation de la décision, ce qui reste le plus probable, elle devra alors se conformer à la décision de l’OMC ou bien prendre le risque d’être l’objet de rétorsions commerciales de la part des États-Unis. Le Canada et sa province de l’Ontario, condamnés dans un cas similaire en 2014, ont préféré démanteler un dispositif qui avait permis de créer près de 20 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables [4].

Priorité au commerce ou au climat ?

Quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur la sincérité du gouvernement Modi en matière de lutte contre le réchauffement climatique, difficile de ne pas voir l’absurdité de la décision de l’OMC. De vieilles règles commerciales supplantent l’impératif climatique et les politiques – encore insuffisantes – des États. Le résultat est extrêmement nocif : les règles du commerce prévalent, même au prix de la planète, et elles limitent la capacité des gouvernements à développer les énergies renouvelables. Ne serait-il pas temps d’inverser cette hiérarchie et faire en sorte que les règles et principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international soient soumis à l’objectif climatique ?

L’accord de Paris, aussi historique soit-il, ne le permet pas. Il a été en effet expurgé, à la demande de l’Union européenne, de toute référence au commerce international [5]. La COP21 a montré que le multilatéralisme onusien n’était pas (tout à fait) mort. L’occasion est donc belle de le doter d’outils pour qu’il ne reste pas une coquille vide. Inverser la hiérarchie des normes, intégrer l’OMC dans le giron de l’ONU, confier aux négociations sur le réchauffement climatique la possibilité d’intervenir sur les principes mêmes de l’économie mondiale, voilà quelques pistes qu’il faudrait ouvrir, si l’on veut être sérieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C’est un vaste chantier. Mais la « révolution climatique » annoncée par François Hollande n’est-elle pas à ce prix ?

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France, auteur de Sortons de l’âge des fossiles - Manifeste pour la transition, Seuil, Octobre 2015.

Photo : © Jean de Peña / Collectif à-vif(s)

Aller plus loin :
 « COP21 : ratifier c’est bien, changer de politique c’est mieux - 14 propositions pour amorcer la "révolution climatique " ! », publié par l’association Attac, disponible ici en pdf
 Au nom du climat, rénover les règles du commerce mondial