Inégalités

Guyane et outre-mer : « Jamais il n’y aura d’égalité, de fraternité dans le cadre de la domination coloniale »

Inégalités

par Samy Archimède

Pour Elie Domota, ancien leader du LKP, collectif guadeloupéen contre l’exploitation outrancière, le mépris de l’État français pour l’outre-mer et maintien d’une domination de type colonial, malgré les engagements pris et la loi pour l’égalité réelle.

Basta! : Pourquoi faut-il en arriver à des grèves générales de plusieurs semaines, comme cela a été le cas en 2009 en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, pour que les choses changent en outre-mer ?

Elie Domota [1] : Nous n’en savons rien. La seule chose que nous constatons c’est que l’État français ne respecte jamais ses engagements. Je vous donne un exemple très simple : il était prévu que 40 millions d’euros soient mis sur la table pour mettre en œuvre un plan d’urgence pour la formation et l’insertion des jeunes en Guadeloupe. Des engagements écrits avaient été pris. Le gouvernement Sarkozy ne les a pas respectés. Le gouvernement Hollande non plus. Il était aussi prévu que soit pris en Conseil d’État un décret encadrant les produits de première nécessité pour permettre aux Guadeloupéens les plus démunis d’accéder à un certain niveau de vie. Le gouvernement Sarkozy ne l’a jamais appliqué, le gouvernement Hollande non plus [2] L’objectif est de maintenir les gens dans l’assistanat, dans la mendicité.

Quels sont, selon vous, les points communs entre l’actuel mouvement social guyanais et celui qui avait embrasé la Guadeloupe il y a huit ans ?

Les racines du mal sont les mêmes dans toute l’outre-mer. Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres de distance les uns des autres et, pourtant, les indicateurs socio-économiques sont similaires : chômage de masse chez les jeunes, retard de développement… Le point commun, c’est la domination coloniale. L’exemple de la Guyane est criant : au cœur de Kourou, là où habitent les blancs – un endroit que les Guyanais appellent gentiment Pretoria (la capitale administrative de l’Afrique du Sud, ndlr) – il ne manque de rien. Il n’y a pas de problème de bus, d’hôpital ou d’école. À 20 kilomètres de là, c’est un autre monde où il n’y a ni électricité ni eau. Ce n’est pourtant pas une fatalité. C’est un choix politique de maintenir les populations dans l’ignorance, la mendicité et sous domination. Nous sommes dans la même logique que celle de la colonisation. Les Guyanais, les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Réunionais, les Kanaks, les Mahorais n’ont jamais été Français et ne le seront jamais. La vocation de la colonie n’est pas de se développer car il ne faut surtout pas que le colonisé ait un jour le sentiment de pouvoir diriger sa vie lui-même. La vocation de la colonie est de servir les intérêts de la métropole.

En 2009, le LKP avait pourtant signé avec l’État un protocole d’accord historique visant à améliorer le pouvoir d’achat des Guadeloupéens : augmentation des bas salaires, revalorisation des minimas sociaux, baisse des prix des produits de première nécessité, baisse des tarifs bancaires, des prix du carburant, de l’eau et de l’électricité. N’y a-t-il eu aucun effet positif ?

Les choses sont simples : l’État français n’a pas respecté ses engagements. Dans la colonie, on ne respecte pas ses engagements et quand les gens se soulèvent on leur tire dessus.

Une loi pour « l’égalité réelle outre mer », qui vise à combler les inégalités entre la métropole et les territoires ultramarins, vient d’être promulguée ce 1er mars. Est-ce un progrès ?

Expliquez-moi ce qu’est l’égalité réelle. Est-ce que vous y comprenez quelque chose ? On est Français ou on ne l’est pas ! Aujourd’hui on nous dit que nous sommes citoyens français. Pourtant on fait une loi sur l’égalité réelle parce qu’en fin de compte nous ne sommes pas si égaux que ça. On se fout de nous ! Il y a un mois et demi, mon organisation a écrit à l’ensemble des parlementaires, aux services de l’État, au ministre de l’outre-mer, au ministre de la santé, pour leur dire de veiller à ce qu’on puisse insérer des clauses d’insertion sociale dans les appels d’offre pour les marchés publics. Cela doit permettre d’embaucher des Guadeloupéens sur les chantiers. Pas de réponse. Lorsque le chantier du CHU (prévu près de Pointe-à-Pitre, ndlr) va débuter, ce sont des Portugais, des Espagnols, des Italiens, des Français qui viendront travailler. Les Guadeloupéens seront là en train de fumer de l’herbe et de boire de l’alcool. Vous croyez que c’est sérieux ?

La dépendance – pour les produits alimentaires, le pétrole, les biens d’équipement… – vis-à-vis de l’Hexagone explique-t-elle la situation sociale de l’outre-mer ?

Cette dépendance est organisée. La France n’a pas de ressources ! Elle vole de l’uranium au Niger et du pétrole au Gabon. On nous interdit de tisser des relations commerciales avec la Caraïbe pour acheter du carburant à Trinidad-et-Tobago ou au Venezuela, alors qu’il est moins cher que celui qui vient d’Europe. Les compagnies pétrolières européennes qui nous vendent le carburant l’achètent au Venezuela et nous le revendent à un prix prohibitif !

Deuxième exemple : au lieu d’utiliser les terres pour mettre en place une vraie politique agricole basée sur la diversification et la satisfaction des besoins alimentaires de la Guadeloupe, on les bétonne et on construit un port en eau profonde pour faire venir plus de marchandises par bateaux cargo. Pour la France, nous sommes une colonie de consommation. Aujourd’hui, que produit le secteur agricole en Guadeloupe ? De la canne à sucre et de la banane, dont 90% de la production part en Europe. Dans un pays normal, on produit pour nourrir les habitants du pays.

Comment reconnecter économiquement les outre-mer à leurs voisins de la Caraïbe et de l’Amérique centrale et du Sud ?

Décolonisation, indépendance nationale et pleine souveraineté. C’est la seule voix possible pour les populations colonisées. Jamais il n’y aura d’égalité, de liberté, de fraternité dans le cadre de la domination coloniale. Le principe même de cette domination, c’est de considérer l’autre comme un être inférieur. Sa langue n’est pas une langue, sa musique n’est pas musique, sa culture n’est pas culture et on lui impose tout. Voilà la réalité. Il y aura donc encore des éruptions, comme aujourd’hui en Guyane, comme il y a un an et demi à Mayotte, comme régulièrement en Nouvelle Calédonie...

L’indépendance, comment on y arrive ?

C’est une bonne question. Personne n’a la réponse.

Existe-t-il encore un désir d’indépendance au sein de la population guadeloupéenne ?

99% de la population est contre l’indépendance car quand on leur parle d’indépendance, on ne leur parle que d’Haïti (l’un des pays les plus pauvres et inégalitaires du monde, avec 60% de la population qui vit sous le seuil de pauvreté et un quart dans l’extrême pauvreté, ndlr) alors que les neuf dixièmes des pays de la Caraïbe sont indépendants. À un moment, il faudra pourtant regarder la réalité en face : nous sommes Français mais 60% de nos jeunes sont au chômage. En 1848, la République a aboli l’esclavage, qui avait été rétabli par Napoléon, tout comme la déchéance de nationalité... En même temps, la République a indemnisé les propriétaires d’esclaves. Aux esclavagistes, on a accordé une rente sur 20 ans, des usines et des terres de façon à ce qu’ils puissent garder leur domination politique, économique et sociale sur la population. Et que donne la République aux anciens esclaves ? Un bulletin de vote.

Recueilli par Samy Archimède

Photo : manifestation du LKP en Guadeloupe en mai 2009 / CC Arcadiuš

Notes

[1Secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG, Unyon Général a Travayè Gwadloup en créole), ancien leader du LKP.

[2Entre 1998 et 2013, les prix ont évolué au même rythme à la Guadeloupe et en métropole, selon l’Insee. En 2014, selon la préfecture du département, ils ont baissé d’environ 15% sur une centaine de produits de grande consommation, suite à la mise en place d’un « bouclier qualité-prix. »