Violences

Interpellation de Farida, infirmière : « Cette collègue ça aurait pu être nous toutes »

Violences

par Anne Paq, Rédaction

Le 16 juin, Farida, infirmière de 51 ans travaillant à l’AP-HP depuis 17 ans, a été violemment interpellée par les forces de l’ordre. Placée en garde à vue, elle a reconnu avoir eu un geste de colère. Témoignages vidéo de sa famille et de ses soutiens.

L’interpellation musclée d’une soignante par les forces de l’ordre, à l’issue de la manifestation du 16 juin à Paris, a suscité une multitude de réactions et de controverses. D’après ses proches, Farida, infirmière de 51 ans travaillant à l’AP-HP depuis 17 ans, a au moins une cote cassée. Notre collaboratrice Anne Paq était présente au rassemblement de soutien, appelé par la famille de Farida et la CGT du Val de Marne (voir l’appel), devant le commissariat de police du 7e arrondissement. Voici la déclaration de sa fille, Imen Mellaz, journaliste, pour annoncer la libération de sa mère, après 24h de garde-à-vue.

Le témoignage de la fille de Farida, l’infirmière interpellée le 16 juin from Bastamag on Vimeo.

Selon sa fille, Farida est toujours sous le choc. « J’ai vu ma mère comme je ne l’avais jamais vu d’abattement, alors que c’est quelqu’un de très très fort. Il en faut des choses pour la détruire... Alors ils ne l’ont pas détruite, elle ne se détruit pas comme ça, mais ils ont tapé quand même un sacré coup, plusieurs même comme son corps en témoigne. »

Imen, elle-même journaliste, n’a pas manqué de tacler ses collègues des médias, qui « ont fait le travail de la police », en fournissant les vidéos qui inculpent sa mère. « On sait au moins ce qui lui est reproché, c’est d’avoir jeté trois cailloux et fait deux doigts d’honneur. On peut argumenter que cela pourrait justifier des poursuites, une arrestation mais en aucun cas ce qui s’est passé, en aucun cas les images qu’on a vues. En aucun cas ce n’est une réponse proportionnée. »

Interpellation de Farida lors de la manifestation des soignants, le 16 juin 2020 / © Anne Paq

« Le monde médical dit qu’il étouffe et on n’écoute pas »

« Il ne faut pas oublier que ce sont des mois de colère, de souffrances, ajoute Imen. Tout le monde était d’accord pour applaudir les soignants à 20h mais il n’y avait personne pour s’inquiéter de l’état de ma mère et des autres soignants pendant ces deux mois. Sans parler du fait qu’ils sont en lutte depuis longtemps, que le monde médical dit qu’il étouffe et qu’on n’écoute pas. » Parmi les soutiens présents lors du rassemblement, Maryse, 48 ans, qui travaille à l’Hôpital Tenon et se dit « révoltée » par la manière dont sa collègue a été traitée.

Maryse_temoignage from Bastamag on Vimeo.

« C’est une collègue qui, pendant toute la période Covid, a travaillé 12h par jour, sans s’arrêter, bien qu’elle soit elle-même tombée malade. Cette collègue ça aurait pu être moi, ça aurait pu être nous toutes », estime t-elle. « Il faudrait que le gouvernement entende que l’hôpital est un service public qu’il faut financer à hauteur des besoins, ne pas lésiner sur les embauches, arrêter les fermetures de lits, et augmenter les niveaux de salaires », poursuit cette infirmière qui exerce depuis 25 ans.

Farida est convoquée le 25 septembre prochain au tribunal correctionnel de Paris pour des faits d’« outrage », « rébellion » et « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité temporaire de travail ». Le représentant de la CGT présent lors du rassemblement a appelé à un soutien massif en septembre. Pour Imen, « la question qu’il faut se poser c’est comment une dame, mère de deux enfants, de 51 ans, avec 20 ans de services publics, 20 ans de soin exemplaire dans son travail, a pu en venir là. Comment c’est possible ? Que cette histoire ne fasse pas oublier pourquoi elle était dans la rue, pourquoi tous ces gens étaient dans la rue hier. Ils ont des revendications. Il faut les entendre. »

La rédaction de Basta! / Photos et vidéos : Anne Paq

En photo : interpellation de Farida, place des Invalides, le 16 juin 2020 / © Anne Paq