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Face à une politique inhumaine : à Brest, une réquisition citoyenne pour ne pas laisser les jeunes exilés dans la rue

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par Olivier Favier

Alors que le projet de loi inique du gouvernement sur l’asile est discuté à l’Assemblée, partout en France, des citoyens suppléent les carences de l’État pour tenter d’accueillir dignement les exilés. Nécessité faisant loi, à Brest, le collectif « Zéro personne à la rue » a réquisitionné une habitation inoccupée, instituée en « Maison des mineurs », pour ne pas les laisser les jeunes isolés dormir dehors. Mais face à une préfecture qui relaie à la lettre la politique déshumanisée du gouvernement, la situation reste extrêmement détériorée. Reportage.

La porte de cette maison inoccupée était restée ouverte. Alors les membres du collectif « Zéro personne à la rue » ont marché jusqu’au vallon du Dour Bras, dans le quartier Saint-Marc à Brest, et ont accroché un grand drap blanc au-dessus de l’entrée. Ainsi naissait la Maison des mineurs, mi-novembre. Sur la banderole, ils ont représenté une maison avec une cheminée qui fume, trois bonshommes en fil de fer, un adulte et deux enfants. Dans le "o" de maison, ils ont représenté un cœur. À l’intérieur de la vraie maison, ils ont logé dix adolescents en exil, des mineurs non accompagnés.

La bâtisse est perdue dans les arbres. Elle donne sur un étang entouré de fougères, et sur un jardin qui, l’hiver du moins, semble un peu à l’abandon. Le jour, la porte n’est toujours pas fermée, malgré un événement récent qui a frôlé la tragédie. Le 7 février en fin d’après-midi, en présence, heureusement, de nombreux soutiens venus pour un rassemblement, un homme fait irruption dans le jardin, en voiture. Il se gare devant l’entrée, menace de faire brûler la maison, blesse deux personnes en prenant la fuite. Il revient à deux reprises dans les heures qui suivent, d’abord armé d’un couteau, puis accompagné de membres de sa famille. Un témoin est frappé avec un coup de poing américain. Les agresseurs sont finalement interpellés par la police. L’un des agresseurs a été rattrapé par les adolescents eux-mêmes, qui l’ont remis aux autorités.

Un semblant de normalité dans un monde qui cherche à vous exclure

Les jeunes qui sont ici en ont vu d’autres. Beaucoup ont fui la violence, globale ou domestique, dans leur pays d’origine. Elle a aussi accompagné leur voyage, au Maroc ou en Libye. Ils viennent du Cameroun, de Guinée, du Mali, du Togo, de Côte d’Ivoire ou de Somalie. Ils sont dix-sept à présent, répartis en quatre chambres. Il y a aussi deux « grands frères » pour veiller sur eux. Chaque dortoir forme une équipe chargée de veiller au bon entretien des parties communes, à tour de rôle. Dans le mur du couloir et au-dessus de la cuisinière, des consignes de vivre ensemble sont affichées. Entretenir la maison, c’est aussi conserver un semblant de normalité dans un monde qui cherche à vous exclure.

La maison des mineurs, à Brest.

Le jour de notre venue, des jeunes sont en cuisine. D’autres apparaissent pour nous saluer, et la conversation s’anime aussitôt. Les visiteurs sont les bienvenus. Il faut dire que le lieu semble un peu à l’écart du monde et qu’il ne s’anime qu’au gré des visites quotidiennes des militants. Junior [1] est assis à la table. Camerounais, il évoque une maman malade et une fratrie dispersée, un grand frère en Mauritanie et une grande sœur ailleurs, il ne sait pas trop où. Son petit frère était resté à la maison, mais il vient de décéder. Il s’inquiète pour sa mère : « Pour elle, ça va être très difficile. »

« Chacun doit avoir accès à un hébergement décent et pérenne »

Comme beaucoup, Junior s’est d’abord rendu à Paris. Il y est resté deux jours, errant au hasard avant que quelqu’un lui donne ce conseil : « Ne reste pas ici. » Jusqu’à une période récente, l’ouest du pays faisait l’effet d’un petit Eldorado. Peu de jeunes poussaient jusque là, et les mineurs qui s’y présentaient essuyaient moins de refus qu’ailleurs. Mais ici comme partout ailleurs désormais, la situation s’est considérablement tendue en 2017, plus encore durant l’automne. Les exclus se comptent désormais pas dizaines. « Une cinquantaine » précise Krysta, l’une des fondatrices de la Maison des mineurs, parmi les quatre ou cinq militants à suivre le projet quotidiennement.

Krysta, devant la Maison des mineurs.

Les rejetés par l’aide sociale à l’enfance sont pris en charge par des bénévoles. Pour l’aspect juridique, ils sont suivis par l’association des jeunes isolés migrants (Adjim), qui les accompagne dans leurs recours. Un réseau d’une vingtaine d’associations, le Solami, a loué trois appartements en décembre, pour une capacité d’accueil de dix à quinze personnes. Mais cet accueil ne va pas au-delà des dix-huit ans. Des hébergements solidaires existent aussi dans le département, souvent en zone rurale, ce qui rend difficile, voire impossible, le suivi des cours ou les activités associatives, condamnant les jeunes à une attente inactive.

En Méditerranée, ils étaient sept. Trois ont survécu

À la Maison des mineurs, trois jeunes qui se présentent comme mineurs sont en procédure Dublin, autrement dit enregistrés majeurs dans un autre pays européen vers lequel ils sont dès lors expulsables. En France, conformément au droit européen, la prise en charge des mineurs demeure inconditionnelle. Gilles, un autre membre de Zéro personne à la rue, parle de « complémentarité des actions » avec les autres propositions associatives. La position du collectif est simple : « Quelle que soit sa situation administrative, chacun doit avoir accès à un hébergement décent et pérenne. » Ici, on choisit donc de s’en tenir aux déclarations des intéressés. Les adolescents peuvent se rendre quatre jours par semaine aux cours dispensés par d’autres bénévoles. L’Association brestoise pour l’alphabétisation et l’apprentissage du français pour les étrangers (Abaafe) offre de passer des diplômes de langue française. Ses bénévoles proposent aussi des ateliers-théâtre et des sorties culturelles. L’offre est complète et constitue une bonne préparation à un éventuel retour au sein de l’Education nationale.

« Ce matin, je me suis levé, je n’avais pas le moral », explique pourtant Junior, qui ne s’est pas rendu aux cours. Comme tant d’autres, il a fait tout ce chemin avec le désir d’apprendre un métier. Au pays, il était livré à lui-même. « Je n’ai pas un bon niveau, confesse-t-il, parce que l’école, là-bas, c’était cher. » Puis il ajoute : « J’ai eu des problèmes dans la rue. » Sans donner plus de précision. Il souhaiterait faire une vraie formation, être soudeur ou logisticien, sentir qu’il a vraiment recommencé sa vie. En Méditerranée, ils étaient sept lors de la traversée. Ils sont trois à avoir survécu. Parmi les morts, il y avait un ami proche. À Ceuta, il est resté six mois au « campo », puis trois mois dans une association de l’autre côté du détroit de Gibraltar. Avant de passer la frontière. Il vient d’avoir 17 ans.

Les mains de Junior.

La France, terre de mal-accueil

Pour ceux qui sont pris en charge, les choses ne sont pas plus faciles. Passé 16 ans, la scolarité n’est plus obligatoire. Dans l’attente d’une décision, beaucoup restent sept ou huit mois sans rien faire. Certains trouvent une place dans l’enseignement privé. Ils sont entre 100 et 150 désormais, et depuis quelques mois des jeunes sont accueillis aussi à Quimper, la préfecture du Finistère. Deux collectifs leur viennent en aide : Fraternité Quimper et Fraternité Dz (pour Douarnenez). Ce dernier agit aussi au centre d’accueil (CAO) voisin de Kerlaz. « Il est très actif », précise Krysta. « Nous avons eu le cas d’un mineur, Papou Diallo, qui est resté dix mois à Brest, dont un chez moi. A la suite d’un simple contrôle de police, aux abords de la gare de Vannes, il a été placé en centre de rétention. Les Douarnenistes ont alors déclaré une marche en préfecture. » Papou Diallo n’a été libéré que le 12 mars, à l’issue de la durée maximum de rétention, qui est aujourd’hui de 45 jours. Mais la loi asile et immigration pourrait la rendre extensible jusqu’à 135 jours !

La dernière manifestation à l’initiative des mineurs non accompagnés, le 10 mars, n’a rassemblé qu’une cinquantaine de personnes. « Mise à part l’agression, les voisins sont bienveillants, mais nous sommes très peu à être vraiment mobilisés au quotidien, déplore Krysta. La préfecture est très dure. À Brest, nous avons eu le seul CAO de France où les associations n’avaient pas le droit d’entrer. Finalement, ils l’ont déplacé loin de la ville. »

Pour les jeunes de la Maison des mineurs, les besoins sont nombreux. La plupart trouvent à s’habiller grâce aux vestiaires du Secours populaire et du Secours catholique, mais certains manquent de chaussures. L’ennui s’ajoute à l’attente, les loisirs manquent et avec eux, la possibilité de rencontrer des jeunes Français de leur âge. Pour ceux qui ne sont pas reconnus, il n’est pas facile de trouver une association sportive. En attendant, chacun poursuit son rêve. Dans le couloir, un jeune gratte les cordes d’une guitare dont il ne sait pas jouer. Il est ici depuis quelques jours, et n’a pas encore perdu son sourire.

La maison des mineurs a été évacuée ce lundi matin 16 avril après 6 mois d’occupation. Portes et fenêtres ont été murées pour éviter tout retour dans les lieux. Un jeune a été emmené au commissariat et libéré dans la journée. Selon des militants, les policiers eux-mêmes ont déclaré ne pas comprendre le sens de cette évacuation. À Ouest-France, le sous-préfet a prétendu qu’ aucun mineur ne vivait à l’intérieur de cette maison. La nuit suivante, les 10 mineurs et les demandeurs d’asile expulsés ont dormi dans la rue.

Texte et photos : Olivier Favier

Photo de une : © Serge D’ignazio

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Rejoindre les équipes de bénévoles :
 Le mouvement Zéro personne à la rue : page Facebook et adresse de contact : zeropersonnealaruebrest (a) riseup.net.
 Le site du Réseau du Pays de Brest pour l’accueil des Migrants qui répertorie un certain nombre d’associations et collectifs d’associations (Solami, Abaafe, Adjim, etc.).
 La page Facebook de Fraternité Dz.

Notes

[1Son prénom a été modifié.