Conditions de travail

Être ouvrier agricole palestinien dans une colonie israélienne de Cisjordanie

Conditions de travail

par Ouessale El Assimi

A l’est de la Cisjordanie, 95 % de la vallée du Jourdain est sous contrôle militaire israélien. 80 000 Palestiniens y vivent, principalement des petits paysans. Souvent contraints d’abandonner leurs terres, ils travaillent comme ouvriers agricoles dans les colonies. « C’est la région de l’agriculture industrielle d’exportation », témoigne Ouessale, volontaire pour l’association Échanges et Partenariats. Elle décrit les conditions de travail désastreuses, l’interdiction de toute revendication et expression, la concurrence créée entre travailleurs migrants. Une situation qui relève, selon elle, de l’urgence humanitaire.

Selon une loi ottomane reprise par Israël et qui vaut pour tous les territoires occupés, toute terre qui n’est pas cultivée pendant trois ans revient à l’État israélien [1]. Les facteurs « d’abandon » des terres ne manquent pas. Le climat désertique fait de l’eau une ressource indispensable à l’agriculture. Or, les Palestiniens n’ont pas le droit de construire de puits, ni de réhabiliter les anciens, peu profonds car datant de l’époque ottomane.

La pression de l’agriculture industrielle coloniale dévaste les ressources : impossible de trouver de l’eau douce à moins de 300 mètres de profondeur du fait de l’érosion et la salinisation des eaux souterraines. Le Jourdain a été anéanti, son volume ne représente plus que 5 % de ce qu’il était dans les années 1950. Le fleuve atteint difficilement la Mer Morte toute proche, qui a perdu un tiers de sa superficie dans le même laps de temps. L’électricité et les constructions de tous types sont interdites : la population doit acheter et acheminer l’eau potable dans les villages, vendue cinq fois plus cher aux Palestiniens qu’aux colons (bien que pompée en territoire palestinien) et contrôlée par la compagnie des eaux israélienne, Mekorot.

45 % des terres de la vallée du Jourdain sont classées comme zones militaires et 20 % sont des « réserves naturelles », toutes deux minées. En y faisant paître leurs animaux, les Bédouins prennent le risque d’être la cible des exercices militaires ou de voir leurs animaux saisis. Pour les récupérer, quand c’est possible, ils doivent payer des amendes excédant largement la valeur des animaux eux-mêmes et risquent parfois la détention sans procès. L’armée a récemment brûlé des centaines d’hectares « dédiés à la protection de la nature », pour « régler » le problème de pâturage intempestif.

« Du mauvais côté de la route 90 »

Les Palestiniens n’ont la plupart du temps, aucun titre de propriété : ces terres relevaient des lois d’usages collectifs ottomans et jordaniens, non reconnus par Israël [2]. Il ne se passe donc pas une semaine sans qu’une maison ou qu’un camp de Bédouins ne soit détruit, ordre de démolition militaire à l’appui.

Pour ceux qui ont encore un lopin de terre à cultiver, il se trouve la plupart du temps « du mauvais côté de la route 90 ». Cette route est réservée aux colons. Les Palestiniens n’ont le droit de la traverser pour atteindre leur champs que de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Après les champs, c’est le no man’s land, zone minée, marquée de multiples clôtures, qui inclut le lit du Jourdain, et prévient l’accès à la frontière jordanienne, 8 km plus loin. On peut voir les parcelles cultivées par les colons dans le lit de fleuve depuis 1967, date à laquelle Israël a occupé cette petite mais cruciale bande de terre théoriquement jordanienne. 9 400 Israéliens y vivent, répartis dans les 37 colonies de la vallée.

L’extrême pauvreté des populations paysannes et bédouines, les récurrentes agressions des colons extrémistes, ainsi que l’obligation d’importation de tous les intrants agricoles, imposée par l’occupant, empêche les Palestiniens de cultiver leurs terres, donc de les conserver. C’est ainsi qu’ils se retrouvent à travailler dans les serres, champs, palmeraies et stations de conditionnement des colons. Tous ces travailleurs, sans aucune exception, sont à l’origine des paysans qui n’ont plus de terres ou n’ont plus les moyens de les cultiver, ou dont les revenus qu’ils en tirent ne permettent pas de nourrir leur famille.

Travailler dans les colonies

Dans la Vallée du Jourdain, ce sont plus de 7 000 Palestiniens, dont environ 10 % de femmes et 10 % d’enfants (de moins de 16 ans) qui travaillent dans les colonies de façon permanente. Ils sont jusqu’à 20 000 entre juillet et octobre, pendant la récolte des dattes et des raisins, monocultures d’export majoritaires avec les légumes d’été. Ils viennent parfois de loin, de Naplouse, de Jenine ou de Tubas, et 85 % d’entre eux passent 30 à 90 minutes aux checkpoints matin et soir, sur les routes entre leur domicile et leur lieu de travail.

Aucun des travailleurs n’a de contrat de travail : pour en avoir un, il faut un permis d’entrer dans les colonies, sésame qui n’est délivré qu’aux Palestiniens dont le casier judiciaire est vierge, quand depuis 1967, 40 % des hommes ont connu les prisons militaires israéliennes, avec ou sans procès. Cette situation est une aubaine pour les colons puisqu’ils s’affranchissent ainsi de toutes leurs obligations légales, les colonies étant théoriquement, depuis 2007, régies par le droit du travail israélien (semblable au nôtre mais en plus raciste). En cas de litige, le colon n’a qu’à prévenir la sécurité de la colonie pour évacuer manu militari le ou les contestataires. Ils ne pourront plus jamais rentrer dans la colonie réclamer leur dû.

Des conditions de travail désastreuses

Les ouvriers agricoles travaillent dans des conditions désastreuses : ils travaillent jusqu’à 18h par jour, grimpant aux arbres sans système de sécurité, manipulant hormones, pesticides et engrais sans protection, même rudimentaire, sous des cadences infernales. Évidemment, les accidents du travail sont courants, parfois mortels. Les ambulances israéliennes (lorsqu’elles sont appelées) se débarrassant la plupart du temps des blessés au checkpoint le plus proche bien qu’elles soient tenues par la loi de les transporter à l’hôpital israélien le plus proche. Ils ne peuvent attendre aucune prise en charge des frais médicaux, ce qui ruine les familles, interdit un accès à des soins corrects et prive définitivement les foyers d’un revenu indispensable.

La journée de travail rapporte en moyenne pour 60 shekels, soit 12 euros. Un peu moins pour les femmes et les enfants bien sûr. Pourtant, le salaire agricole journalier minimum – finalement défini en 2007 suite aux années de lutte de diverses ONG – est de 150 shekels (31 euros). Mais les travailleurs se trouvent pris dans un étau entre les colons qui ne paient pas assez, et les intermédiaires palestiniens qui se servent sur leurs salaires en cours de route.

Les intermédiaires palestiniens

Ces intermédiaires sont des Palestiniens qui font office d’agences de recrutement et de gestionnaires des ressources humaines pour les colons. Ce sont souvent des ouvriers plus anciens dans la colonie qui ont gagné la confiance du colon et ont gagné le droit d’interagir directement avec lui. L’intermédiaire embauche les travailleurs à la journée, les transporte jusqu’à leur lieu de travail (moyennant 15 à 30 shekels), compte leurs heures de travail (plus ou moins honnêtement), et les paye après avoir rendu ses comptes au colon. La somme donnée par le colon pour les salaires est souvent insuffisante. Régulièrement, les intermédiaires se servent sans que les ouvriers ne le sachent ou puissent agir. De toute façon, pas question de protester : il est aisé pour l’intermédiaire de remplacer le contestataire par un autre travailleur.

De plus, la concurrence est vive entre les intermédiaires eux-mêmes. Si l’un d’eux transmet au colon exploitant une demande d’augmentation par exemple, il prend le risque de perdre son client et employeur, comme les ouvriers qui travaillent avec lui : il y aura toujours un autre intermédiaire pour proposer une main d’œuvre moins chère et moins plaintive.

Les syndicats sont interdits, l’Autorité Palestinienne n’a pas juridiction sur les colonies et « l’administration civile » se contrefout de ces problèmes. Les grévistes sont immédiatement licenciés, et fréquemment emprisonnés à durée indéterminée, « pour des raisons de sécurité » ; et ce phénomène n’est pas récent. Les grèves ayant été très nombreuses pendant les deux Intifada [3], les restrictions de circulations pour les Palestiniens sont devenues encore plus draconiennes. Le patronat israélien a maintenu un pression sur le gouvernement pour qu’il règle les problèmes économiques liés au manque soudain de main d’œuvre bon marché. Le gouvernement a finalement cédé, non pas en réduisant les restrictions de circulations pour les Palestiniens, mais en autorisant l’import de main d’œuvre étrangère.

La main d’œuvre palestinienne remplacée par les Thaïlandais

Plusieurs dizaines de milliers de permis de travail ont été accordés pour des étrangers pour les secteurs de la construction, de l’agriculture et des soins aux personnes âgées. Ces permis de travail sont ethnicisés : thaïlandais uniquement en agriculture, chinois majoritairement pour la construction, et érythréens pour le soin aux personnes âgées.

Le fait est que cette main d’œuvre a créé une concurrence entre ouvriers agricoles. Ce sont aujourd’hui plus de 1 100 thaïlandais qui travaillent dans les seules colonies de la Vallée du Jourdain. « L’avantage » pour les Palestiniens, c’est que ces ouvriers coûtent plus cher qu’eux (environ deux fois plus), malgré les subventions. Mais cette nouvelle stratégie, permettant aux colons de se passer des Palestiniens sans perdre trop de bénéfice, a fait exploser le chômage et l’exode rural dans la région. Conclusion : de plus en plus de terres tombent sous le coup de « la loi des trois ans ». De plus, ces dernières années, des colonies de religieux extrémistes se sont implantées. Non seulement ces colons n’embauchent évidemment pas d’Arabes, mais les actes de violence envers les villageois, notamment les enfants, ont significativement augmenté.

Aujourd’hui, la situation semble insoluble. Seul le développement d’une agriculture paysanne, autonome et économe, peut répondre aux enjeux de protection des terres palestiniennes de la colonisation dans la Vallée du Jourdain comme ailleurs. Mais malgré le travail colossal des ONG palestiniennes et internationales qui arrivent à maintenir des villages entiers, la situation de la majorité des Palestiniens de la région, notamment les bédouins, relève de l’urgence humanitaire. Les paysans sont coincés dans un étau : entre la force colonisatrice violente et arbitraire, et l’Autorité palestinienne, au mieux impuissante et souvent au service du capitalisme et de ses politiques économiques et agricoles désastreuses.

Ouessale El Assimi, volontaire à Échanges et Partenariats (E&P)

Échanges et Partenariats (E&P) est une association qui milite pour le respect des Droits pour tous et qui s’engage auprès des acteurs de la société civile pour renforcer et développer les partenariats sur des questions de solidarité internationale. E&P propose de nouvelles formes d’engagement à des individus impliqués ou désirant s’impliquer dans des luttes et mobilisations. Vues d’Europe et d’ailleurs est le site des volontaires qui s’engagent avec E&P sur ce chemin.

Notes

[1Jusqu’en 1917, la région faisait partie de l’Empire Ottoman avant de passer sous mandat Britannique jusqu’en 1948, naissance de l’État d’Israël.

[2Les statuts du foncier en Israël sont un mélange de droit ottoman et britannique. Sous l’Empire Ottoman, presque toutes les terres appartenaient au Sultan qui les louait ou les vendait à titre individuel à des paysans. Toutefois, pour éviter toute spéculation sur le prix des terres, le Sultan avait la possibilité de réquisitionner toute terre inculte ou abandonnée pour la remettre à disposition de la communauté. Israël a fixé le délai d’inculture ou d’abandon à 3 ans, ce qui lui a permis d’accaparer les terres des millions de réfugiés, et encore aujourd’hui, des Palestiniens privés de moyens de production.

[3Intifada signifie « soulèvement » en arabe. Désigne les deux principaux soulèvements populaires massifs. La première Intifada, pacifique et massive, a eu lieu entre 1987 et 1994. La seconde, plus violente s’est déroulée entre 2000 et 2005.