Projet autoroutier

En Russie, la mobilisation contre le groupe Vinci s’intensifie

Projet autoroutier

par Sophie Chapelle

Le groupe Vinci s’entête dans le projet de construction d’autoroute qui traverse la forêt de Khimki à proximité de Moscou. Une initiative vivement condamnée par les écologistes locaux et par des ONG internationales. Même la Banque européenne de développement a déjà renoncé à financer en partie la construction de l’autoroute sous la pression internationale. Mais pour 1,8 milliard d’euros, le groupe Vinci trouve les arguments économiques à son goût.

Voilà Vinci, le géant français des BTP, de retour sur la scène, mais russe cette fois ! Le groupe mondial de la construction s’apprête à signer un contrat de concession pour commencer la construction d’un segment d’autoroute de 15 kilomètres à travers la forêt de Khimki. L’endroit n’est pas anodin puisqu’il est un des poumons de la capitale russe. Il abrite, sur près de 1.000 hectares, une biodiversité unique au monde.

À la clé 1,8 milliard d’euros

L’accord commercial passé entre Vinci et le gouvernement russe remonte à 2006. Il porte sur 636 kilomètres d’autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg, pour un budget de 1,8 milliard d’euros. À la clé de ce chantier : une manne récurrente de près de 700 millions d’euros de péage par an pour l’entreprise de BTP.

Le ministre des Transports, Igor Levitin, est un allié de taille dans ce projet aberrant : coûte que coûte, il demande à ce que soit associé l’aéroport de Cheremetievo – dans lequel il possède de gros intérêts commerciaux – à cette autoroute payante et lucrative. Pour permettre à ce projet de transformation de l’espace naturel en zone constructible de voir le jour, la loi est devenue un détail malléable. Dès 2004, la loi russe de défense de l’environnement et des forêts est amendée. Cinq ans plus tard, en novembre 2009, le Premier ministre, Vladimir Poutine ratifie le décret autorisant la transformation de 150 hectares de forêts en zone constructible, violant ainsi la loi russe qui interdit de toucher aux forêts si des alternatives sont possibles. Or, 11 tracés alternatifs ont été proposés par des experts indépendants.

Un mouvement de résistance populaire

S’opposer à ce projet, cher aux oligarques russes, se révèle très dangereux. Y compris pour les journalistes menant l’enquête. Le rédacteur en chef du journal Khimkinskaïa Pravda, Mikhaïl Beketov, a ainsi été passé à tabac en novembre 2008 après avoir publié des révélations sur ce dossier. Et les bavures s’accumulent contre un mouvement grandissant pour « sauver la forêt de Khimki ». Le 19 avril dernier, les militants découvrent que la société Avtador, entièrement détenue par Vinci Concessions Russie, abat des arbres. S’opposant sous forme de rassemblement pacifique à ces coupes qu’ils jugent illégales, dix personnes sont arrêtées par la police. Incapable de formuler la moindre accusation significative à leur encontre, la police les relâche le lendemain.

Malgré les menaces, les arrestations arbitraires et l’intimidation, le mouvement perdure. Il est même devenu populaire et fédérateur en Russie, renforcé par des sondages révélant que 66% des citoyens russes sont opposés au projet autoroutier. Plus qu’un mouvement de défense de forêt, Khimki Forest Movement frappe au cœur la corruption galopante en Russie, l’extorsion de fonds, les abus de pouvoir et l’utilisation de la terre. Selon une ONG russe, le coût de construction d’une autoroute en Russie reviendrait à 237 millions de dollars par kilomètre, alors qu’il n’en coûterait que 6 millions de dollars aux États-Unis ! Cherchez l’erreur.

Des ONG demandent à Vinci de se retirer du projet

Le mouvement remporte même l’été dernier une grande victoire. Alors que les incendies gagnent les portes de la ville, et que des milliers de personnes manifestent dans le centre de Moscou, le président Dmitri Medvedev annonce le 26 août qu’il suspend la construction de l’autoroute, afin de permettre la tenue de débats publics. Cette concession accordée à l’opinion publique est suivie par une large imposture. Les délibérations se tiennent à huis clos par une commission gouvernementale composée d’officiels qui ont tout à gagner à faire aboutir ce projet. C’est à l’occasion de la visite du Premier ministre français François Fillon, le 9 décembre 2010, que Dmitri Medvedev porte le coup final. Il annonce la poursuite de la construction de l’autoroute suivant le tracé initial et déclare qu’il sera « impossible de l’arrêter ».

Impossible ? Pas pour les militants de Khimki qui viennent de lancer un appel international. Ils ont été rejoints par plusieurs ONG, dont WWF et Greenpeace [1]. Ces organisations ont envoyées une lettre le 24 mars 2011 à Xavier Huillard, président-directeur général de Vinci. Elles affirment que l’entreprise a violé les droits de l’homme et les principes environnementaux du Pacte mondial des Nations unies. Un pacte que Vinci a pourtant signé. Les ONG demandent au groupe de se retirer du projet.

Une semaine d’action pour mettre la pression

Vinci a jusque-là ignoré les demandes. On sait pourtant qu’après une forte pression internationale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) a décidé de retirer sa participation au financement de la section traversant la forêt de Khimki. Mais comme le révèle Bankwatch, la Berd est apparemment prête à financer d’autres sections sur cette autoroute...

Ce que veulent les citoyens russes n’est entendu ni par Medvedev ni par Vinci. En France, l’entreprise n’entend pas non plus les paysans et militants écologistes, opposés au projet d’aéroport à Notre-Dame-des Landes, près de Nantes. Que faudra-t-il pour que le géant mondial de la construction prête attention à ces résistances ? Et qu’il soit conscient de sa responsabilité, dans la destruction aveugle et court-termiste de richesses naturelles, dans la pollution ou le réchauffement climatique ? Khimki Forest Movement mise sur la pression internationale et lance une semaine internationale d’action, du 24 au 30 avril 2011, juste avant que les actionnaires de Vinci ne se réunissent à Paris le 2 mai prochain.

Le 10 mars, Evgenia Chirikova, leader du mouvement de défense de la forêt de Khimki, a reçu le prix américain du courage féminin. À travers elle, c’est l’ensemble de Khimki Forest Movement qui se voit reconnaître leur courage et leur vision juste.

Sophie Chapelle

La pétition de Khimki Forest Movement est à signer ici

Rejoindre la page Facebook de Khimki Forest Movement

Toute organisation susceptible de rejoindre ou d’appuyer le mouvement peut écrire à ecmoru(a)gmail.com

Notes

[1WWF Russia, Greenpeace Russia, Social-Ecological Union, Biodiversity Conservation Center, Russian Birds Conservation Union