Référendum

Écosse : « Une leçon de politique et de démocratie pour l’establishment européen »

Référendum

par Clarisse Heusquin

« Better Together », la coalition en faveur du non composée des conservateurs, du Parti travailliste et des libéraux a finalement convaincu une majorité d’électeurs, 55,4%, de rester dans le giron du Royaume-Uni. « Yes Scotland », qui rassemblait le Parti national écossais, les Verts et le Parti socialiste, a réuni 44,6% des voix. À l’heure où nombre de citoyens européens désertent les urnes, la campagne du référendum a été un formidable moment de débats et d’engagement. 87,9% des électeurs de plus de 16 ans ont participé au scrutin. Récit de Clarisse Heusquin, qui a été candidate écologiste au Parlement européen.

L’attente a été longue. Le referendum était dans toutes les conversations et dans toutes les pensées durant la journée de jeudi, d’autant que la campagne a continué jusqu’à la fermeture des bureaux de vote. Le divorce avec le Royaume-Uni n’a donc pas été prononcé. Les capitales européennes sont soulagées. Elles n’auront pas à régler le casse-tête juridique que l’indépendance aurait posée. Elles pourront continuer à ignorer les demandes d’indépendance d’autres régions d’Europe. Cependant, l’establishment politique aurait tort de négliger les aspirations économiques et démocratiques qui parcourent nos sociétés européennes.

Jeudi après-midi, sur le campus de l’Université de Stirling, une des employés du syndicat étudiant m’expliquait que ni elle ni son mari n’avaient encore fait leur choix. Ils avaient pourtant tout lu sur les questions économiques mais restaient indécis. « Les gens encore indécis vont très certainement choisir l’option la moins risquée », ajoute-t-elle. Le statu quo est plus confortable en ces temps difficiles.

L’échec de l’espoir contre les peurs ?

Incontestablement, le camp du « No thanks » (Non merci) aura joué sur l’incertitude qu’une indépendance pouvait signifier, particulièrement dans le domaine économique. « Project Fear » (Projet peur) : c’est ainsi que l’équipe de campagne « Better Together » (Mieux ensemble) avait baptisé son travail. Elle a eu raison : pendant un an, les sondages se sont concentrés à montrer deux constantes. Environ 45% des interrogés considéraient que l’indépendance serait négative pour l’économie. Environ 48% des interrogés considéraient que l’Écosse se porterait moins bien si elle était indépendante du Royaume-Uni [1]. Son travail était donc bien de pointer les incertitudes et d’aiguiser les peurs : quelle monnaie, quel financement pour les retraites, quelles richesses, quel poids international ? Tant de pertes pour si peu de bénéfices, n’a cessé de répéter « Better Together ».

Malgré des erreurs de communication – notamment une vidéo très paternaliste –, les défenseurs du non ont su également articuler deux appartenances : le fait de se sentir Écossais et celui d’appartenir à l’Union. Dans les derniers jours, ils ont martelé à quel point les identités écossaise et britannique n’étaient pas contradictoires mais bien complémentaires.

Paradoxalement, la coalition du « #Yes » a peu utilisé la question identitaire. Elle a parlé démocratie, égalité et redistribution de richesses. Elle a transformé un projet politique, l’indépendance, défendue par une minorité ne dépassant pas un tiers d’Écossais depuis les années 1960, en un mouvement d’espérance tourné vers la justice, l’égalité et la démocratie.

La démocratie locale, la clé pour améliorer la qualité de vie

Le principal acteur de la coalition, le Scottish National Party (le Parti National Écossais, SNP) a rénové le nationalisme, au sens que l’entendait Ernest Renan au XIXe siècle. La nation n’est ni fondée sur l’ethnicité, ni sur le langage, ni sur le droit du sang et du sol. Il s’agit d’un contrat, d’un sentiment partagé, d’une association volontaire d’individus ayant un passé commun et construisant leur futur ensemble. Ce contrat que les Écossais avaient conclu avec les Anglais en 1707 est renouvelé aujourd’hui. Mais, les Etats tels que nous les connaissons ne sont pas immuables pour le plus grand bien de nos démocraties.

Le modèle d’indépendance proposé par le SNP, qui refusait de rétablir les frontières avec ses voisins et de se séparer de la Couronne et de la Livre Sterling, est éloigné de l’État-nation tel que défini par l’Angleterre et la France. Il n’a pas été compris par tous. Il démontre pourtant que relocaliser le politique ne veut pas nécessairement dire se replier sur soi-même. Les Verts écossais, partisans du oui, proposaient, par exemple, une politique migratoire plus ouverte, en totale opposition avec celle menée par Londres. Je suis convaincue que la démocratie européenne combinée à la démocratie locale sont la clé pour améliorer la qualité de vie des peuples européens.

Comment évoluera ce mouvement ? C’est la question la plus passionnante de ce débat. La réponse dépendra de l’attitude des « gagnants ». Le besoin de fédéralisation est criant au Royaume Uni. La mise en œuvre de « la dévo max » (régionalisation maximum) est voulue par une majorité des Écossais. Ils sont 74%, en septembre 2014 (contre 59% en septembre 2013) à vouloir un transfert de pouvoirs supplémentaires de Westminster vers le Parlement écossais, notamment celui de lever l’impôt. La société dans son ensemble aspire à un nouveau modèle politique. Un nouveau modèle où la capacité à rendre des comptes des hommes et femmes politiques est plus facile à contrôler. Un nouveau modèle où les décisions sont mieux (com)prises, où la légitimité des thèmes soit débattue (économie, environnement, ressources naturelles) est questionnée, et où les échelons régionaux et locaux dans la prises de décisions sont renforcés.

Une leçon politique pour l’establishment politique européen

« Yes Scotland » a suscité énormément d’espérance : chez les plus démunis, chez les chômeurs, chez les laissés pour compte de la mondialisation. Il proposait un projet économique alternatif à la doxa actuelle que les Écossais exècrent - ‘There is no alternative’ (Il n’y a pas d’alternative). L’indépendance était présentée comme le moyen de reprendre en main l’avenir. C’est pour cela que l’on a vu beaucoup plus de Yes sur les maisons et plus de partisans du oui se rassembler en ville. Il est plus facile d’afficher son optimisme. Ce mouvement a forcé le camp du non à se mobiliser, tout particulièrement après que le oui ait été donné gagnant quelques jours avant le vote.

Près de deux ans de campagne ont aussi permis aux citoyens de se saisir de l’enjeu de l’indépendance. La mobilisation a été régulière : flyers, vidéos, appels et surtout porte-à-porte. Ils ont permis aux citoyens de participer aux discussions et de s’y engager. Tous les citoyens. Y compris les plus jeunes, car l’âge légal pour voter lors d’un référendum d’autodétermination en Écosse est 16 ans.

L’autre particularité est que le droit de vote est accordé à toutes personnes issues du Commonwealth ou de l’Union européenne résident en Écosse. Ainsi 97 % des résidents se sont donc inscrits, 87,9% ont effectivement voté ! Un grand nombre de résidents qui n’avaient jamais voté se sont rendus aux urnes. Ces forts taux de participation montrent que, contrairement à ce que les médias et politiques européens assènent constamment, les citoyens ne se désengagent pas politiquement. Lorsque l’enjeu est clair, lorsque le débat est accessible et lorsqu’il existe des choix alternatifs, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux se déplacent en nombre. Cela a été le cas hier en Écosse comme cela avait été le cas en France lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005. Est-ce donc nos hommes et femmes politiques qui sont « désengageants » ?

Même s’ils n’ont pas “gagné”, les aspirations du Yes sont des aspirations que l’on retrouve dans plusieurs pays d’Europe, parce que notre modèle démocratique actuel est à bout de souffle, que cette situation politique est aggravée par notre modèle économique qui fait mal aux gens. Nos politiques européens doivent accepter cette réalité plutôt que de se contenter de jouer à des redécoupages territoriaux ou des transferts de compétences sans financement appropriés ici et là. La démocratie en Europe ne sera la garantie d’un « mieux vivre » pour les citoyens européens que si chaque état membre de l’Union accepte de ne plus s’accrocher à un modèle institutionnel périmé. Cette question s’est posée aux institutions du Royaume-Uni, mais elle se pose également à la 5e république.

Clarisse Heusquin

Photo : CC Phyllis Buchanan