Expertise citoyenne

Développement local participatif contre bétonisation en Haute-Savoie

Expertise citoyenne

par Sophie Chapelle

C’est un énième projet de grignotage des terres agricoles qui se profile sur l’agglomération d’Annemasse, au nord de la Haute-Savoie, non loin de Genève. Vingt hectares, actuellement exploités par trois éleveurs laitiers, pourraient être transformés en vaste zone artisanale. Le projet de zone dit « Borly II », estimé à 14,8 millions d’euros, est déjà bien avancé d’un point de vue administratif [1]. Mais le « Collectif Autrement pour un Borly Agricole (CABA), qui réunit des agriculteurs et des citoyens, n’entend pas laisser bétonner ces terres sans agir. « La Haute-Savoie est le département qui bouffe le plus de foncier », alerte Matthieu Dunant, maraicher à proximité de la zone et membre du collectif. « L’urgence c’est d’arrêter de détruire les terres qui nous nourrissent. »

« Qui va nourrir tous les habitants de notre territoire ? »

« Nous ne sommes pas contre les artisans », précise Matthieu Dunant. Mais d’autres lieux sous-utilisés pourraient, selon le collectif, accueillir cette zone artisanale [2]. « En revanche, ces 20 hectares de terres agricoles, une fois bétonnées, ne pourront jamais retourner à leur usage premier ! » Le collectif déplore par ailleurs que l’agriculture n’apparaisse dans aucun document officiel traitant de développement économique. Résultat, la Haute-Savoie se voit progressivement vidée de ses paysans. En 2010, le département comptait 3120 exploitations agricoles. Leur nombre a baissé de 37 % en 10 ans et de 71 % en 30 ans.

Aujourd’hui, il reste moins de 45 exploitations agricoles sur l’agglomération qui compte 85 000 habitants. « Il n’y a pas de projet alimentaire sur la zone alors que la population ne fait qu’augmenter », observe Matthieu Dunant. « Qui va nourrir tous les habitants de notre territoire ? » Ceux qui veulent s’installer comme paysan se heurtent au coût du foncier qui atteint des sommets dans cette zone frontalière avec la Suisse et l’agglomération genevoise. Depuis 2009, sur 17 demandes d’installation pour un projet agricole auprès de la chambre d’agriculture locale, seules quatre ont abouti.

Un projet alimentaire à l’échelle du territoire

Ces derniers mois, le collectif CABA a développé un scénario alternatif à cette bétonisation. Ils proposent la création d’un « pôle agricole et alimentaire de proximité » constitué de producteurs dont le regroupement permettra de proposer, en circuits courts ou longs, une offre alimentaire diversifiée en agriculture biologique. « La demande est là », assure Matthieu Dunant. « Les agriculteurs en vente directe n’arrivent plus à répondre à toutes les sollicitations, on compte quatorze Amap (associations réunissant paysans et consommateurs, ndlr) sur le territoire, les ventes à la ferme et sur les marchés sont un succès, de nombreux parents veulent des aliments bio et locaux dans les cantines, il y a un projet de légumerie et de cuisine collective. Il ne manque que les agriculteurs. »

Dans leur projet alternatif (télécharger le document), le collectif propose de maintenir la culture de céréales pour les fermes laitières des environs, puis de développer du maraichage, de l’arboriculture et des petits élevages. A terme, ces vingt hectares pourraient aussi devenir un lieu de sensibilisation à l’agriculture, à l’alimentation, et à la santé environnementale avec des animations et visites guidées. « Pour garder la maitrise du site, l’agglomération sera amenée à construire des bâtiments qui feront l’objet d’un bail aux agriculteurs en place. Ce sera donc une opération blanche pour la collectivité qui fixera les annuités au niveau de l’emprunt à réaliser », souligne le collectif. Bernard Boccard, vice-président de l’agglomération en charge de l’économie, assure rester « ouvert à la discussion » [3]. Une réunion publique est prévue le 7 avril pour présenter plus en détail le projet du collectif (plus d’informations ici).

Notes

[1La zone est inscrite dans le Scot de l’Agglomération d’Annemasse et le plan local d’urbanisme de la commune de Cranves-Sales. Il serait financé par une participation d’Annemasse Agglo, des subventions et participations versées par des collectivités tierces et des recettes de commercialisation de charges foncières.

[2Le collectif évoque notamment 60 000 m2 de surfaces disponibles pour l’installation d’entreprises sur le site Altéa, ou bien encore la zone économique de l’Eculaz, à dix minutes en voitures, qui ne serait pas remplie.

[3Voir l’article du Messager Genevois