Frontières

Ces entreprises de sécurité privée qui profitent de la tragédie de Calais

Frontières

par Anne-Sophie Simpere

Le gouvernement britannique a annoncé qu’il augmenterait de plus de 50 millions d’euros sa contribution à la gestion de la frontière commune de Calais, pour en améliorer la sécurité. Ces financements seraient une contrepartie au maintien des accords du Touquet qui visent à externaliser la frontière britannique sur les côtes françaises, y bloquant les migrants qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni.

Qui profite de ces « investissements sécuritaires » ? Le collectif Calais Research Network a identifié plus de 40 entreprises qui bénéficient du régime frontalier, dans des secteurs divers allant du transport à la construction de clôtures, en passant par les technologies biométriques, les systèmes de scanner de poids lourds, la fourniture de containers ou la fabrication de cartouches de gaz lacrymogènes. On pourrait croire que la situation à Calais ne fait que des perdants : les migrants, exposés à des conditions indignes et à des violations des droits humains, le tissu économique local, les contribuables français et britanniques... Mais certains acteurs tirent tout de même leur épingle du jeu.

Quand Vinci fait les basses œuvres de l’État

Parmi les heureux élus, on retrouve Vinci. Le géant du bâtiment et de la sous-traitance, impliqué dans le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, finalement abandonné, dans la destruction de la forêt de Khimki en Russie, et poursuivi pour travail forcé au Qatar, a obtenu de nombreux contrats à Calais. Sa filiale Sogea s’est chargée de la destruction de la « jungle » à la fin de l’hiver 2016 puis à l’automne suivant, quand l’intégralité du campement a été évacué. Une opération dénoncée alors par le collectif national des syndicats CGT de Vinci, qui considère que les salariés de l’entreprise ont été contraints d’intervenir dans des conditions d’hygiène et de sécurité déplorables pour réaliser de « basses besognes » dont l’État se décharge sur le privé alors qu’il dispose largement des compétences pour faire ce travail.

C’est également Vinci, via sa filiale Eurovia, qui a construit le mur anti-intrusion de la rocade de Calais, pour un coût estimé à 2,7 millions d’euros, financés par la Grande-Bretagne. Ce mur de quatre mètres de hauteur et d’un kilomètre de long s’ajoute aux grillages installés le long du port et vise à empêcher les migrants de monter dans les camions. Ceux-ci se sont simplement déplacés plus en amont pour tenter de s’introduire dans les poids-lourds en direction du Royaume Uni.

Un laboratoire de la gestion privatisée des frontières ?

Dans la zone portuaire, Thales a installé les équipements pour sécuriser la zone : portiques, lecteurs de badges, caméras de surveillance, protection des éléments d’infrastructures vitaux… Par ailleurs, les deux drones chargés de la surveillance du site d’Eurotunnel ressemblent beaucoup aux Spycopter de Thales, selon le Calais Research Group. Dans sa communication, le groupe met volontiers en avant son expertise dans la surveillance des frontières, domaine dans lequel il a développé des projet en Espagne, en Afrique du Nord ou en Lettonie. Thales est aussi l’un des principaux bénéficiaires des fonds européens à la recherche pour renforcer la lutte contre l’immigration illégale.

Paradoxalement, l’entreprise est également l’un des principaux vendeurs d’armes européen au Moyen Orient et en Afrique du Nord, régions d’où viennent une partie des migrants qui viennent se réfugier en France ou tentent de traverser le pays (lire notre article Comment les vendeurs d’armes européens profitent à la fois des guerres au Moyen Orient et de la militarisation des frontières).

Autre acteur moins connu mais d’importance majeure à Calais : Eamus Cork Solutions. La société française, basée à Dunkerque et créée en 2004 par un ancien policier calaisien, remporte en 2016 un appel d’offre de 80 millions de livres lancé par le Ministère de l’intérieur britannique pour assurer des services telles que la fouille des véhicules et des personnes, la détention ou des escortes. C’est l’un des plus gros contrat de sécurité privée à Calais, signe d’une privatisation de la sécurité frontalière. Au Royaume Uni, la sous-traitance de la gestion des migrants à des sociétés privée est déjà la norme. Si en France, ces missions restent généralement de la compétence des forces publiques, l’exemple de Calais montre que les entreprises de sécurité privée sont prêtes à s’engager dans la brèche.

Anne-Sophie Simpere

Photo : Malachy Brown CC via flickr