EELV au gouvernement

Cécile Duflot au ministère du Logement : mention passable, peut largement mieux faire

EELV au gouvernement

par Rachel Knaebel

Cécile Duflot fête sa première année au ministère du Logement (et de l’Égalité des territoires). Quel est son bilan ? Les loyers sont-ils mieux régulés ? La transition énergétique des bâtiments a-t-elle avancé ? Où en est la lutte contre le mal-logement ? Des élus du PS, d’EELV, du Front de gauche et des acteurs associatifs dressent leur bilan de l’action de la ministre, alors que les écologistes doivent débattre en août de la poursuite de leur participation au gouvernement.

Si l’influence d’un ministre se mesurait au nombre de tweets postés, Cécile Duflot serait grande gagnante. Au-delà de sa communication numérique, la ministre du Logement et de l’Égalité des territoires a aussi réussi à hausser le ton à plusieurs reprises, sans pour autant se faire sortir du gouvernement (comme cela vient d’arriver à Delphine Batho). Du côté de son action politique, elle a déjà à son actif, en un peu plus d’un an de service, une loi adoptée, un autre projet de loi présenté fin juin, un premier décret pour encadrer les loyers et plusieurs circulaires. Voici son bilan, en six points.

Régulation des loyers : Peut mieux faire

C’était la promesse 22 du programme du président Hollande : « Encadrer les loyers dans les cas de première location ou de relocation ». Cécile Duflot a pris un décret en ce sens, entré en vigueur le 1er août 2012. Le texte plafonne la hausse des loyers à la relocation, dans les 38 agglomérations où ils sont les plus élevés. La mesure a-t-elle effectivement freiné la hausse des loyers ? Il est encore un peu tôt pour l’affirmer. Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap), les loyers à la relocation ont tout de même continué à augmenter en 2012, de 6% à Paris, de 5% dans l’agglomération.

Le dispositif doit être complété par la loi pour l’accès au logement et pour un urbanisme rénové (Alur) présentée fin juin, avec plusieurs mois de retard. Celle-ci prévoit, en zones tendues, de définir des loyers médians via un réseau d’observatoire des loyers, en cours de création. Une fois la loi adoptée, les propriétaires ne pourront pas demander plus que ce loyer de référence… majoré de 20%. C’est là que le bât blesse. D’autant que le projet de loi en l’état – il va évoluer au fil des lectures au Parlement à l’automne – prévoit des exceptions à cette obligation pour des logements « présentant des caractéristiques exceptionnelles ». Le propriétaire garde la possibilité de réévaluer à la hausse son loyer s’il se trouve sous le niveau de référence. Un comble. Qu’en pensent les élus et responsables associatifs ?

Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre : « Le décret de 2012 a eu un effet : encadrer la hausse. C’est bien : ces dernières années la hausse était le double ou le triple de l’inflation. Mais nous espérions un début de diminution. La loi telle qu’elle est aujourd’hui va plutôt toucher les loyers les plus chers. Et ces loyers concernent en général les familles les plus aisées. Il risque d’y avoir un effet d’aubaine pour les plus riches, qui vont voir leurs loyers baisser, et rien pour la moitié des loyers des plus modestes. »

Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement (CNL) : « Même avec le décret du mois d’août, les loyers ont continué à augmenter. Il aurait fallu un décret de gel des loyers. Nous demandons trois ans de gel des loyers – mais nous ne sommes évidemment pas contre une baisse ! – le temps de mettre en place un véritable répertoire national des loyers, qui permettrait de faire le point sur la meilleure méthode d’encadrement possible. La ministre nous dit que l’encadrement prévu dans le projet de loi va faire baisser de 5 à 50 euros un quart des loyers. C’est déjà ça de pris, mais c’est peu ! Les trois-quarts des loyers ne vont donc pas être touchés. »

Jean-Baptiste Eyraud, du DAL : « Le dispositif d’encadrement prévu par la loi risque de produire une augmentation des loyers bas, à cause de la fourchette des 20% et de la dérogation en cas de caractéristiques exceptionnelles, qui risque de se généraliser dans les zones tendues. En 2011, le Sénat (passé à gauche avant la présidentielle) avait pourtant adopté une mesure qui devait donner un avant-goût de ce qu’allait faire la gauche au pouvoir, avec un plafonnement des loyers sans majoration. On en est loin aujourd’hui. Début juillet, la ministre nous a encore dit que les loyers allaient baisser de 20 à 25%. Mais nous ne la croyons plus. Nous attendons plus de la gauche. Nous attendons que les locataires cessent d’être éreintés par la cherté du logement. »

Manuel Domergue, porte-parole de Jeudi Noir : « Ce qui avait été promis, c’était une baisse des loyers. Ce qu’on voit là, c’est une baisse de certains loyers. Le système va juste écrêter ceux qui sont vraiment au-dessus du marché et probablement faire augmenter un certain nombre de loyers. Au lieu de majorer le loyer médian de 20%, on pourrait aboutir à +10 % ou même 0%. Le projet de loi va encore être discuté et amendé, la fourchette peut baisser. »

Emmanuelle Cosse, vice-présidente verte de la région Ile-de-France en charge du logement, responsable de la commission logement d’EELV : « Cela fait dix ans que nous réclamions un encadrement des loyers. Il était urgent d’avancer. Ceci étant, il y a une mesure à laquelle je suis favorable : c’est décréter une baisse des loyers pour tout le monde dans le parc privé en zone tendue. Mais je n’accable pas la ministre de ne pas l’avoir mise en œuvre parce que je pense que, légalement, elle ne pourrait pas le faire. »

François Longérinas, secrétaire national du Parti de gauche aux alternatives concrètes et au logement : « Le calcul du loyer de référence, en l’état actuel du projet de loi, ne prend en compte que le prix du marché, jamais la qualité du bâti ou la performance énergétique. Pour une ministre écologiste, c’est fou ! Et la loi d’encadrement suit une mécanique inflationniste. En plus, le gouvernement a autorisé un complément de loyer exceptionnel, avec des critères bien trop souples et qui n’est pas plafonné. Nous demandons une baisse des loyers de 20% dans les villes où ils sont beaucoup trop élevés. Ce serait simplement de la modération. »

L’accès des jeunes au logement : Doit faire ses preuves

Dans son programme, François Hollande annonçait la mise en place d’un dispositif de caution solidaire « renforcé et simplifié », à destination des jeunes. L’idée semble s’être perdue en route, remplacée, dans le dernier projet de loi de Cécile Duflot, par une garantie universelle des loyers (Gul). Mais ses contours restent encore flous, et sa mise en place prévue seulement pour 2016.

Emmanuelle Cosse : « J’étais très opposée à une garantie spécifique pour les jeunes. Car, objectivement, les jeunes aujourd’hui ont les mêmes difficultés que les travailleurs précaires sans garanties familiales. Je suis davantage favorable à une garantie universelle pour tous les publics. Je crois donc à cette Gul, mais pour l’instant, on ne sait pas trop ce que cela va donner. Si le dispositif permettait d’arrêter le système des cautions, ce serait une avancée intéressante. »

Jean-Baptiste Eyraud : « La Gul est un dispositif qui va garantir des loyers élevés. On aurait beaucoup moins besoin d’une garantie si les loyers étaient plus bas. »

Construction de 500 000 logements par an : Doit progresser

Le gouvernement veut construire 500 000 logements neufs par an, dont 150 000 logements sociaux. L’objectif est très ambitieux face aux 340.000 mises en chantiers de 2012, et aux moins de 150 000 sur les cinq premiers mois de 2013 [1]. Pour arriver au demi-million, la ministre a donc préparé une première loi dès son entrée en fonction. Celle-ci relève les obligations de loi SRU : dorénavant, les communes devront avoir sur leur territoire 25% (et non plus 20%) de logement social. Avec cette loi, l’État peut aussi céder ses terrains gratuitement aux collectivités. Mais les moyens financiers ne suivent pas. Sans oublier les atermoiements du gouvernement sur le relèvement de la TVA à 7%, voire 10%, pour finalement revenir à 5% pour le logement social, qui ont placé la filière dans l’incertitude.

Patrick Doutreligne : « En même temps qu’on a augmenté les objectifs de 120.000 à 150 000 logements sociaux par an, l’enveloppe d’aide à la pierre n’a pas suivi au même niveau. Dans la Loi de finances 2013, ce que l’État donne par logement baisse de 1000 à maintenant 600 euros. C’est dérisoire. Nous avons aussi du mal à comprendre que le gouvernement ne mise pas sur le conventionnement de logements du parc privé. Avec ce système, en contrepartie d’un avantage fiscal ou d’une assurance gratuite, le propriétaire accepte de baisser son loyer. Tout le monde s’y retrouve. Nous demandons 100 000 logements conventionnés par an. Mais la Loi de finances 2013 n’en prévoit que 13 000. »

Emmanuelle Cosse : « La décision sur la cession du foncier public d’État a eu des effets assez vite. J’avais connaissance de dossiers bloqués depuis des mois et qui avancent enfin. Après, le problème ne vient vraiment pas du ministère du Logement. Quand le gouvernement a décidé de changer le taux de TVA, en novembre dernier, cela a eu un effet terrible et tout s’est arrêté. Jusqu’à ce que soit décidé que la TVA resterait à 5% pour le logement social. Le résultat, je le vois pour la région Ile-de-France : en 2013, nous n’avons quasiment aucun programme. C’est catastrophique. Cela a créé une situation de méfiance des bailleurs. »

Pour pousser à la construction dans le secteur privé, le ministère a aussi adopté très vite une nouvelle incitation fiscale à l’investissement locatif, encore une, concernant le logement neuf en zone tendue. Elle a pris le relais du dispositif Scellier.

François Longérinas : « Par rapport au parc privé, ce gouvernement est dans la même logique que les précédents : il est dans une politique de gestion du marché, pas dans une politique des besoins de la population. »

Soutien aux familles pauvres expulsées : Médiocre

Les associations demandaient un moratoire sur les expulsions. Elles n’ont pas été entendues. En août 2012, le gouvernement a cependant adopté une circulaire sur l’accompagnement des expulsions de campements des populations roms. L’idée : pas d’évacuations sans solution pour l’ensemble des familles. Une seconde circulaire, quelques jours avant le début de la trêve hivernale, fin octobre, interdit aux préfets d’expulser de leur logement les personnes reconnues prioritaires au Droit au logement opposable (Dalo). « On expulse toujours des camps roms ou d’autres personnes sans aucune solution derrière. Cette circulaire-là n’est pas du tout appliquée » , critique Patrick Doutreligne.

Jean-Baptiste Eyraud : « Si les loyers ne sont pas bien encadrés, les expulsions vont continuer. Mais la circulaire de non-expulsion des personnes prioritaires Dalo est un point vraiment positif. Il faut juste le temps que les services sociaux et les associations s’en saisissent et aient le réflexe d’inciter les personnes sous le coup d’un jugement d’expulsion à faire un dossier Dalo. Là, nous disposons d’une possibilité légale de protéger les gens de l’expulsion. C’est plutôt bien. Le seul problème, c’est qu’une circulaire n’est jamais qu’une circulaire. Il faudrait que ce soit inscrit dans la loi. Nous avons proposé des amendements en ce sens avec la plateforme logement des mouvements sociaux. »

En matière d’hébergement d’urgence, le gouvernement a bien créé des milliers de places supplémentaires, mais cela reste bien en-deçà des besoins.

Patrick Doutreligne : « Ce gouvernement a fait un gros effort sur l’hébergement en nombre de places. Le problème, c’est qu’au même moment, le flux est beaucoup plus important. Le gouvernement peut ouvrir 9 000 places supplémentaires. Si à la même période, vous avez 30 000 sans-abris en plus, personne ne peut se réjouir. L’Etat répond par une obligation de moyens, qui sont en hausse. C’est appréciable. Mais ce qui nous intéresse, c’est une obligation de résultat. Dans le cinquième pays le plus riche du monde, peut-on refuser un hébergement à quelqu’un ? Le gouvernement répond “non” dans le discours, et “oui” dans le financement. »

Réquisition de logements vacants : Nul

Cécile Duflot avait annoncé en novembre des procédures de réquisitions de bâtiments vacants.

Jean-Baptiste Eyraud : « A notre connaissance, il n’y a eu aucune réquisition à ce jour. La ministre s’est aussi engagée à améliorer la politique de réquisition s’il y avait des difficultés de mise en œuvre de la loi actuelle. Mais on ne voit rien dans le projet de loi Alur. Donc, je comprends que ce n’est plus d’actualité. C’est le plus mauvais message à faire passer, puisque cela signifie que l’on enterre la loi de réquisition. Ce n’est pas acceptable quand il y a toujours 2,4 millions de logements vacants dans notre pays. »

Manuel Domergue : « Il n’y a pas eu de réquisition, mais beaucoup de remises sur le marché. Quand Jeudi Noir demande des réquisitions, c’est pour trouver des bâtiments, mais surtout pour envoyer un signal aux propriétaires. On voit que cela fonctionne. Ce type de campagne, il faut la mener en permanence, pour mettre la pression en continu. »

Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice, présidente de la fédération nationale des Coopératives HLM, deux fois ministres du Logement (en 1992-1993 puis en 2001) : « Réquisitionner est plus difficile aujourd’hui que lorsque j’étais ministre, parce qu’il y a beaucoup moins de logements vacants réels. Dans les années 1990, il y avait une crise de l’immobilier liée aux marchands de bien qui avaient acheté pour spéculer et qui, avec la chute des prix, ne voulaient plus revendre. Nous sommes aujourd’hui dans une conjoncture qui n’a rien à voir. Une loi de réquisition fonctionne essentiellement face à des propriétaires institutionnels ou des personnes morales, pas pour des logements qui appartiennent à des particuliers. Avec ce type de logement, il y a une démarche longue de visites pour savoir si c’est habitable, si on peut faire des travaux. Le propriétaire a aussi des droits de recours. Une autre raison pour laquelle il est difficile de réquisitionner, c’est qu’on ne dispose pas d’une évaluation suffisante, collectivité par collectivité, sur les disponibilités réelles de logements vacants qui pourraient être mobilisés. Il faut d’abord chercher les logements. Si on avait tous les ans un travail sur le parc vacant des propriétaires privés, le dispositif serait plus efficace. »

Transition énergétique dans le logement : Peut mieux faire

Contre la précarité énergétique, le gouvernement a décidé de renforcer le programme Habiter mieux, d’aide aux travaux pour les propriétaires. Auparavant réservé aux propriétaires aux revenus modestes, occupant leur logement, les aides seront maintenant attribuées à tous les ménages qui se trouvent sous le revenu médian, ainsi qu’aux propriétaires bailleurs et aux copropriétés dégradées.

Le gouvernement veut aussi rénover 500 000 logements par an d’ici à 2017. Pour y arriver, il maintient des dispositifs existants, comme le « crédit d’impôt développement durable » (CIDD) ou l’écoprêt à taux zéro (éco-PTZ). Et dégage 500 millions d’euros en plus sur deux ans pour distribuer une prime de 1.350 euros pour les ménages aux revenus modestes ou moyens. Le gouvernement prévoit d’embaucher en contrat d’avenir 1000 « ambassadeurs de la rénovation énergétique » d’ici 2015.

Patrick Doutreligne : « Le gouvernement a d’abord dégagé 500 millions d’euros pour lutter contre la précarité énergétique des foyers les plus modestes. Quelques mois plus tard, il a élargi aux classes moyennes, voire un peu supérieures, tout en maintenant les 500 millions. Il a étendu sa cible bien au-delà des populations défavorisées pour lesquelles nous nous étions battus. Le risque : une fois que le dispositif aura atteint sa vitesse de croisière, il n’y aura plus d’argent pour les plus modestes. C’est justement quand les caisses de l’Etat sont moins bien dotées qu’il faut choisir les priorités. Nous regrettons que la priorité n’aille pas vers les plus défavorisés. »

En ce qui concerne le parc social, le gouvernement prévoit de réhabiliter 90 000 logements en 2013, et 120 000 en 2014. Réaliste ?

Marie-Noëlle Lienemann : « Avec les écoprêts et la TVA à 5% qui va aussi s’appliquer aux travaux de réhabilitations, les leviers sont là pour permettre la rénovation énergétique dans le logement social. On peut toujours rêver mieux, mais ces mesures, dans le cadre actuel, permettent déjà un vrai mouvement. »

Les propriétaires : « Un parti pris de la ministre pour les locataires »

Que pensent les propriétaires de la ministre du Logement ? Que du mal, à en croire Jean Perrin, le président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers (Unpi), qui regroupe surtout des propriétaires possédant plusieurs logements, voire plusieurs immeubles : « Rien de ce que fait le ministère ne passe du côté des propriétaires. Il y a objectivement un parti pris pour la protection des locataires. Le système d’encadrement des loyers est une usine à gaz trop compliquée. Si le locataire peut contester son loyer, les gens ne seront plus sûrs de la rentabilité de leur bien immobilier et n’investiront plus. La garantie des loyers, c’est quelque chose qu’on réclame depuis toujours. Mais nous voulons que son financement soit pris en charge par les locataires. Ce sont eux qui font courir le risque, pas les propriétaires. Si on faisait des loyers gratuits, c’est sûr, nous n’aurions plus de problèmes d’impayés ! »

Partir ou rester : décision avant la rentrée

Mécontents de l’action de la ministre verte du Logement, les propriétaires seront peut-être bientôt exaucés. Après le limogeage de Delphine Batho du ministère de l’Écologie, pour avoir critiqué la baisse de 7 % de son budget, une partie des responsables d’Europe Écologie-Les Verts souhaite que les deux ministres écolos (Cécile Duflot et Pascal Canfin) quittent le gouvernement. Début juillet, Jean-Vincent Placé, chef du groupe écologiste au Sénat, a jugé que la baisse du budget de l’Environnement était un signal désastreux. Le secrétaire général d’EELV, Pascal Durand, a ensuite salué les milliards accordés à l’environnement dans le plan d’investissements d’avenir annoncé par Jean-Marc Ayrault. « Que fait encore EELV au gouvernement ? », se demandent des membres du Conseil fédéral et du bureau exécutif d’EELV, dans une tribune publiée sur Rue89. Une question que se posera le parti pendant l’été.

Rachel Knaebel

Photo : © Ministère du Logement (Cécile Duflot devant la Fédération des promoteurs immobiliers, Deauville, septembre 2012)

Notes

[1Chiffres de l’Insee.