Conditions de travail

Ambulancier, un métier d’utilité publique miné par le manque de reconnaissance

Conditions de travail

par Sarah Bosquet

Certains sont fonctionnaires dans l’hôpital public, d’autres sont salariés d’entreprise. Les ambulanciers ont en commun le goût du secours et de la relation envers autrui. Leurs missions sont diverses : du transport d’une personne âgée pour une simple consultation à des interventions en urgence. Si le secteur des transports sanitaires ne connaît pas la crise, les ambulanciers souffrent cependant de conditions de travail difficiles et d’un manque de reconnaissance. Épuisement professionnel, turnover important, dysfonctionnements... Rencontre avec ces professionnels qui font face à de trop nombreuses idées reçues.

Neuilly sur Marne, un matin de novembre. Une cinquantaine d’étudiants s’assoient sur les bancs d’un amphithéâtre où commence un cours un peu particulier : « Noyade, pendaison, électrocution », annonce le diaporama. Nous sommes à l’Institut de formation inter-hospitalier Théodore Simon (IFITS), l’un des neuf centres de formation d’ambulanciers d’Ile-de-France. Ici, les élèves – une majorité d’hommes – sont âgés de 22 à 50 ans. Une bonne partie d’entre eux sont en reconversion professionnelle, comme Tidiane, 34 ans, qui a d’abord été chauffeur de taxi. « Mon projet, c’est de monter ma boîte et de gagner de l’argent, je n’ai pas honte de le dire », lance le délégué de classe. « Mais ici, on nous transmet également une exigence éthique, de responsabilité, de sécurité. » Delphine, 24 ans, est auxiliaire ambulancier depuis un an et demi. Elle rêve d’intégrer le Samu, et en attendant, elle travaille en entreprise le soir après les cours.

La formation pour le diplôme d’État d’ambulancier (DEA) s’étale sur six mois, elle comprend huit modules et quatre stages. « C’est une formation diplômante en peu de temps, une des rares où tout le monde peut rentrer sur concours. Pas besoin d’avoir le bac, ni de fournir un extrait de casier judiciaire », raconte Florence Grillet-Gaudry, une des responsables de la formation. Depuis cinq ans, cette cadre de santé transmet son goût du secours à la personne avec une bonne dose d’humour noir. En cours, elle alterne apports théoriques, exemples concrets, blagues et recadrages. « Ici, on a même des gens qui viennent depuis Nice, car les listes d’attente sont souvent très longues en province », explique-t-elle. Comme d’autres professionnels de la santé, les élèves ambulanciers ne se retrouveront pas dans un secteur en crise – surtout s’ils restent en Ile-de-France : la région compte près de 800 entreprises agréées pour environ 13 000 salariés [1], soit environ 13% du parc national. « 85 à 90 % de nos diplômés sont embauchés dans le privé, car les places en Samu sont très rares », précise Florence Grillet-Gaudry.

Un métier qui embauche, mais peu reconnu

Si l’emploi est au rendez-vous, la rémunération n’est pas aussi enthousiasmante. Selon son statut (auxiliaire ou diplômé d’État) son lieu de travail (public ou privé) et son ancienneté, un ambulancier gagne entre 1 300 et 2 000 euros nets pour 150 à 200 heures de travail mensuelles. « Pour avoir un salaire décent, il ne faut pas être feignant », résume Christian du groupe « Ambulanciers de France en colère ».

Et si la profession ne connaît pas la crise, elle pâtit d’un bon nombre d’idées reçues. « La plupart des gens pensent que nous ne sommes que de simples transporteurs, et qu’emmener mamie et papi – comme certains disent – d’un point A à un point B, ça ne doit pas être difficile ! Et bien ils se trompent », s’agace un ambulancier dans le métier depuis 17 ans. « Lorsque nous emmenons des patients pour la première fois, on entend souvent : "Ah, je ne savais pas qu’il y avait ce genre de matériel dans vos ambulances" ou "Ah, vous faites aussi des urgences ?" ». « Ce que les gens retiennent de nous, c’est qu’on leur casse les pieds avec le gyrophare aux heures de pointe. D’autres nous perçoivent trop souvent comme des taxis, un moyen de se déplacer gratuitement. Alors qu’il faut une ordonnance du médecin pour avoir recours à une ambulance », renchérit Dominique, membre du collectif ambulancier des transports sanitaires et d’urgence de France (Catsuf).

Ambulancier depuis 25 ans, passé par le Samu, Dominique raconte l’origine du collectif : une page Facebook où des « Ambulanciers de France en colère » partagent informations et coups de gueule dès 2012. Un an plus tard, le groupe se transforme en une association nationale et « a-syndicale », qui vise à valoriser la profession et son éthique. Aujourd’hui, le Catsuf regroupe une centaine de membres actifs et environ 45 000 ambulanciers sympathisants. Un engouement qui montre la lassitude des salariés face à des conditions de travail éprouvantes et à un manque de considération.

L’urgence, aux fondements de la vocation

Conséquence de ces amalgames : une ambulance peut avoir du mal à se frayer un passage aux heures de pointe. Alors qu’elle peut être classée véhicule d’intérêt général prioritaire, au même titre que la police ou les pompiers, par exemple lorsqu’elle est envoyée par le Samu [2]. Car sur ses cinq à dix courses quotidiennes, un ambulancier peut autant transporter une personne âgée de son établissement médico-social (EPHAD [3]) à une consultation, qu’intervenir sur une urgence. « Cela va du simple bobo aux urgences vitales. Les entreprises de transports sanitaires sont souvent généralistes, mais certaines sont spécialisées dans l’urgence, la pédiatrie ou le rapatriement sanitaire. Désormais nous intervenons à domicile et dans les lieux sécurisés, comme les écoles ou les centres commerciaux, contrairement aux pompiers qui interviennent sur la voie publique ou sur des lieux dangereux », explique Dominique. Les transports en urgence représentent 15 à 20 % du temps de travail d’un ambulancier employé en entreprise [4].

L’attrait pour le secours d’urgence est souvent à la base de la vocation des ambulanciers. « Mais sur le terrain, certains élèves sont parfois confrontés à des situations très différentes de qu’ils ont appris en formation : pas de produits de désinfection dans le camion, pas de nettoyage du brancard… Ces conditions de travail parfois difficiles, ainsi que les situations d’épuisement professionnel qui peuvent s’y ajouter créent un turn-over important dans la région », constate Florence Grillet-Gaudry. 

Épuisements professionnels

Non-respect des pauses réglementaires ou de règles d’hygiène, manque de matériel, absence de tenue professionnelle fournie par l’employeur ou de locaux de garde, locaux vétustes et non chauffés… la liste des dysfonctionnements relevés dans le privé par les « Ambulanciers en colère » est très longue. Ils pointent aussi des plannings souvent établis la veille au soir par leurs employeurs, qu compliquent ainsi la vie privée et familiale des salariés. « Imaginez les problèmes que cela pose lorsque vous avez des enfants ! Parfois on ne sait même pas si on travaille le week-end suivant », dénonce un délégué du personnel. « Et question matériel, tout dépend de l’implication de la direction. On verra chez certains des véhicules bien entretenus, alors que chez d’autres ils auront du mal à freiner correctement. »

Ces dysfonctionnements accentuent les difficultés quotidiennes inhérentes au métier : les risques routiers, biologiques, ou encore les contraintes posturales dues à la conduite et à la manipulation des patients. « Il y a de plus en plus de troubles musculo-squelettiques, parce que les ambulanciers portent des gens de plus en plus lourds », note Florence Grillet-Gaudry. « Nous vivons dans une société où les gens grossissent, alors les entreprises s’adaptent en achetant de nouveaux brancards, de nouvelles voitures. Mais le dos des ambulanciers trinque ». 70% en moyenne des ambulanciers souffre un jour d’une lombalgie qui entraîne parfois une invalidité, et la nécessité de changer de travail.

Trouver l’équilibre entre empathie et distance

Les ambulanciers subissent aussi le stress connu de tous les transporteurs routiers : la pression liée au respect du planning et aux appels de leur employeur, qui augmente aux heures de pointe ou « si l’on transporte un patient mal en point », souligne Dominique. Ce dernier évoque aussi les difficultés de prise en charge de certains patients souffrant de troubles psychologiques, qui refusent de monter dans l’ambulance. « Nos conditions de travail sont difficiles et nécessitent une très bonne condition physique et nerveuse, un contrôle de soi à toute épreuve, et un sens poussé des relations humaines. »

Cette dimension relationnelle continue à donner du sens à leur profession. « J’ai toujours voulu rendre services aux autres, les soutenir dans leur maladie, leur donner un peu de chaleur, de réconfort dans des situations pénibles », raconte un ambulancier d’Ile-de-France. Mais pour un professionnel consciencieux, trouver l’équilibre entre empathie et distance n’est pas toujours évident. « J’ai transporté pendant plusieurs mois un monsieur âgé et malade, on discutait beaucoup. Un lien s’est établi. Au début, je l’emmenais à ses consultations, puis je l’ai accompagné à son dernier trajet à l’hôpital. Quand il est parti, ça a été très dur. Alors maintenant, je préfère garder une certaine distance avec les patients, ne pas m’attacher », raconte pudiquement Dominique.

Les reculs du nouvel accord cadre

Autre angle mort de la profession, la diversité des statuts et du cadre réglementaire : si le même diplôme d’État est délivré par le ministère de la Santé à tous les ambulanciers, le secteur privé dépend de la convention collective nationale des transporteurs routiers, quand les ambulanciers titulaires du secteur public sont agents de la fonction hospitalière en catégorie C. Bien qu’ils aient suivi les mêmes modules de formation, le quotidien d’un ambulancier fonctionnaire et d’un salarié du secteur privé n’a donc pas grand chose en commun, notamment en ce qui concerne les emplois du temps.

Le nouvel accord-cadre signé en juillet 2016 par trois des quatre fédérations nationales de transport sanitaire prévoit une augmentation de 6% de la rémunération des ambulanciers. Il marque cependant un recul par rapport à plusieurs points du précédent accord. « C’est la fin du régime d’équivalence, une règle selon laquelle nous étions systématiquement rémunérés à 90% de notre temps de travail », explique un membre de la Fédération nationale des ambulanciers du privé (FNAP), non signataire de l’accord. « Alors que nous étions payés, par exemple, 9 heures pour une amplitude totale de 10 heures, désormais la pause de 1h30 et les temps d’attente hors transport seront décomptés du salaire. Pour une rémunération identique, nous passerons donc plus de temps en entreprise ».

« Une caissière qui attend l’arrivée d’un client n’est-elle pas payée ? », s’indigne un délégué du personnel. « Le comble, c’est que les patrons veulent que l’on soit joignables durant ces pauses. Il est pourtant dit que nous pourrons vaquer librement à nos occupations, et que le port de la tenue est proscrit en dehors du lieu de travail. » L’ancien accord-cadre de 2000, toujours en vigueur jusqu’à l’extension du nouveau par le ministère du Travail, obligeait également l’employeur à rémunérer les gardes de soirées et de week-end à 75 % du salaire habituel.

Lutte pour un meilleur statut

Les ambulanciers font également face à un manque de reconnaissance au sein même des professions de la santé. « Lorsqu’on dépose un patient à l’hôpital, il est fréquent qu’on ne nous dise même pas bonjour », lance Dominique. « Il a pu y avoir de mauvaises expériences avec des ambulanciers peu consciencieux. Mais pour faire notre travail dans de bonnes conditions, nous devons être considérés comme des professionnels. Certains semblent ignorer qu’on est soumis au secret médical comme eux et refusent de nous transmettre des informations pourtant capitales », dénonce-t-il. Face à une situation d’urgence, les tâches d’un ambulancier sont en effet essentielles et lourdes de responsabilités : mise en sécurité et manipulation du patient, évaluation des paramètres vitaux (tension, température…), immobilisation si nécessaire, préparation du matériel médical lors de l’éventuelle collaboration avec le Smur, ou encore réalisation des gestes de réanimation cardio-pulmonaire.

Dans le secteur public, l’Association française des ambulanciers Smur hospitaliers (Afash) milite auprès du ministère de la Santé et du ministère de la Fonction Publique pour que les ambulanciers passent en catégorie « active » – qui rassemble les personnels ayant un contact direct avec le patient – au lieu de la catégorie « sédentaire » qui regroupe les magasiniers, jardiniers ou autres personnels techniques. Dans des lettres adressées à Marisol Touraine en novembre dernier, une cinquantaine de députés dénonçaient ce paradoxe. Qu’ils soient fonctionnaires ou salariés d’entreprises, le destin des ambulanciers reste incertain car très lié à des politiques de santé publique en restructuration, et sur lesquelles ils n’auront pas forcément leur mot à dire.

Sarah Bosquet

Photo : CC Andrew Malone

Notes

[1Chiffres 2016, ARS Ile-de-France

[2Le centre départemental de régulation médicale, en lien avec les services de secours – associé au numéro d’urgence 15

[3Un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) désigne en France la forme d’institution pour personnes âgées la plus répandue.

[4Le chevauchement des missions « du 15 » et « du 18 » (Samu et pompiers), une spécificité française, rend peu lisible les secteurs du transport sanitaire et du secours à la personne. En octobre 2016, un rapport du Sénat dénonçait un « dédoublement fonctionnel des secours peu rationnel », et appelait à une meilleure répartition des champs d’intervention. Plusieurs propositions sont à l’étude, comme la mutualisation des plateformes téléphoniques.