Ecologie populaire

Alternatiba : cet « autre monde » qui vient d’en bas

Ecologie populaire

par Eros Sana

Un premier village des alternatives sociales et écologiques, Alternatiba, s’est tenu en Île-de-France, à Gonesse (Val d’Oise). L’occasion pour les participants de s’opposer au projet de centre commercial géant, Europa City, promu par Auchan. Et d’esquisser les contours de cet « autre monde » qui se construit par en bas, dans les coopératives, les associations de recyclage, les initiatives de productions locales, les actions de solidarité internationale ou par la multitude d’expérimentations agricoles. Basta! a recueilli leurs témoignages et leurs envies.

Toutes les 90 secondes, un avion décollant de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, tout proche, les survole. En dessous, ils sont près d’un demi-millier à participer à « Alternatiba », un village des alternatives écologiques et sociales, ces 20 et 21 septembre à Gonesse, dans le Val-d’Oise. Initié il y a un an à Bayonne, ces villages temporaires présentant de nouvelles manières de produire et de consommer, des coopératives aux produits bio en passant par des ateliers de recyclage, se multiplient. Les bruyants supersoniques dans le ciel, des alternatives à la crise climatique et environnemental au sol : deux modèles de développement qui ne pourront plus cohabiter bien longtemps.

La menace ne vient pas que du ciel : les participants ont auparavant marché dans la ville de Gonesse, pour notamment protester contre la construction d’un grand projet, jugé inutile et imposé : Europa City. Il s’agit d’un immense centre commercial comprenant 500 boutiques, hôtels, restaurants et un parc à neige couvert. Le tout stérilisant et bétonnant 680 000 m2 de terres arables. Soit l’équivalent de douze grandes pyramides de Gizeh, en beaucoup moins beau ! Le projet est promu par le groupe Auchan (lire également notre enquête). C’est sur le Triangle de Gonesse, sur le terrain même de ce projet contesté, que tentes, stands et estrade se sont installés avec l’objectif de démontrer qu’un « autre monde » est déjà là. Basta! a recueilli les témoignages de plusieurs participants.

« Une première dans la construction d’alternatives », Valentin Przyluski, militant socialiste

« Je suis venu à Alternatiba parce que ce type de rassemblement, où les gens se rencontrent, discutent et échangent, est une première dans la construction d’alternatives et dans le renforcement des pratiques concrètes et décentralisées. Je suis convaincu qu’il faut limiter tous les projets qui menacent les terres agricoles, qu’il s’agisse d’Europacity ou de Notre-Dame-des-Landes. Je ne suis pas d’accord avec toutes les luttes qui sont mises en avant ici. J’ai par exemple un a priori négatif sur les oppositions au ferroviaire. Je préfère que les gens prennent le train plutôt que l’avion. Je ne m’oppose pas à toutes les LGV (lignes à grande vitesse). A titre individuel, je ne mène pas suffisamment d’actions pour transformer la planète. Mais j’essaye de soutenir tous types d’initiatives qui tentent de défendre la production agricole locale, la plus locale possible. Car c’est par l’agriculture que l’on peut faire prendre conscience de l’obligation d’une consommation durable et locale. L’agriculture, c’est le produit du quotidien. Cela a un impact direct sur la société et la santé. »

« Il faut arrêter de ne penser que par la croissance », Steffie Kerzulec, membre du Collectif Alternatiba Essonne

« Je pense que la dynamique lancée par Alternatiba est un grand mouvement qui peut vraiment faire bouger les choses pour le climat. Vu la situation dans laquelle nous sommes, il est indispensable de montrer qu’il y a des alternatives possibles et reproductibles. C’est pourquoi j’essaye de me rendre au maximum de rassemblements Alternatiba pour m’inspirer de ce qui s’y dit. Je suis convaincue qu’il faut arrêter de lancer des projets comme ceux de grands centres commerciaux ou d’aéroports inutiles. Pour cela, il faut arrêter de ne penser que par la croissance et pour la croissance. Il faut commencer à penser sobriété et efficacité énergétiques. Nous devons donc changer d’échelle et relocaliser l’économie. Ce que je fais à titre individuel pour changer la planète ? Je commence déjà par aller tous les jours au boulot à vélo. Ensuite, j’habite dans un logement collectif. Et enfin, je mange bio, car j’essaye d’éviter les pesticides. »

« Les coopératives de salariés peuvent nous éclairer », Vincent Gay, militant d’Ensemble (Front de gauche)

« D’un côté, Alternatiba promeut un type d’alternatives, de l’autre Europacity illustre ces projets fous du capitalisme qui n’ont aucun sens, ni économique, ni social et encore moins environnemental. Il faut donc lier les résistances à la lutte pour l’environnement, les terres agricoles et pour des alternatives à nos modes de consommation. Il existe plein d’exemples qui nous montrent que les gens sont capables de s’organiser différemment. Les AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) sont les plus connues, mais il y a aussi les coopératives de salariés qui peuvent nous éclairer. L’exemple des Fralib est d’ailleurs exemplaire à ce titre-là.

Pour changer les choses, il y a deux niveaux d’intervention, le quotidien et le politique. Agir au quotidien, à titre individuel ou collectif, ne se limite pas au tri des déchets. Cela s’étend aux déplacements, à la consommation, à la récupération, au recyclage, aux associations de réparations d’objets ménagers… Cela prouve que les gens se prennent en main. Mais on sait que cela ne suffit pas. C’est pour cela qu’il ne faut pas oublier le niveau militant ou politique. C’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui. C’est aussi pour cela qu’il faudra se mobiliser pour le climat lors des négociations de la COP 21 en 2015 (la 21e conférence des Nations unies pour le climat aura lieu à Paris, ndlr). »

« Les grands projets inutiles relèvent de la névrose capitaliste », Jean-Marc, maraîcher

« Si je participe à la dynamique d’Alternatiba, c’est parce que je me suis reconverti dans l’agriculture il y a cinq ans, dans l’Essonne. Avant, j’étais prof en fabrication mécanique et client d’une AMAP. Les maraîchers que j’ai rencontrés m’ont donné la passion de leur métier et m’ont convaincu de sauter le pas et de me reconvertir. Maintenant que je suis agriculteur, je me rends compte que nous avons besoin de paysans pour cultiver les terres et de terres à cultiver. Et c’est ici, en sortant un peu de mon champ, que je peux faire entendre ce type de besoins.

L’une des premières choses à faire pour changer de société, c’est d’empêcher l’accumulation de richesses par quelques-uns. Pour moi, un riche c’est une personne qui en vole une autre. Ensuite, il faut arrêter tous les grands projets inutiles qui relèvent de la névrose capitaliste. Pour changer les choses, je commence déjà par ne pas consommer plus de ce dont j’ai besoin. Ensuite, j’ai fait en sorte de pouvoir vivre sur mon lieu de travail. Je me suis également imposé de réfléchir sur le sens de mon travail. Je ne dis pas que prof est un mauvais boulot. Mais je pouvais faire autre chose en devenant agriculteur. »

« Une révolution du quotidien, des petits gestes », Umit Metin, militant des droits de l’Homme

« Alternatiba représente la résistance à des projets qui détruisent notre société, tant au niveau social qu’environnemental. Moi qui suis un militant contre les discriminations et pour les droits de l’Homme issu de l’immigration turque, je considère qu’il faut soutenir les espaces porteurs d’alternatives. Notamment pour créer du lien et exprimer une solidarité en affirmant que ce n’est pas seulement un combat qui concerne tel ou tel quartier, tel ou tel pays, mais bien un combat contre un système. A titre d’exemple, en Turquie, des projets qui détruisent l’environnement se multiplient : il y a le projet d’un nouvel aéroport, d’un pont gigantesque... Mais il y a aussi de plus en plus de luttes contre ces projets. Ce fut le cas pour les manifestations pour préserver le parc naturel Gezi à Istanbul Manifestations qui ont été brutalement réprimées.

Ce qui est beau, c’est que de nombreux militants contre le projet de Notre-Dame-des-Landes ont exprimé leur solidarité à Gezi, avec une répercussion certaine là-bas. Le monde est petit, les luttes sont les mêmes. Ceux d’en face utilisent les mêmes méthodes pour faire du profit et toujours plus de profit. Pour changer les choses dans le monde, il faut d’abord commencer par changer les choses dans sa tête. La révolution est aussi une révolution du quotidien, des petits gestes. Petits gestes que j’inculque à mes enfants, vis-à-vis du gaspillage de l’eau, du traitement des déchets… »

Propos recueillis et portraits par Eros Sana