Chômage

« M. Hollande, je suis trop vieux pour vos emplois jeunes et trop jeune pour les employeurs »

Chômage

par Benjamin Vandekerckhove

Jeune diplômé, j’expérimente depuis septembre dernier la réalité de ces chômeurs trop vieux pour les « emplois jeunes », trop jeunes pour l’emploi. J’ai écouté avec attention les promesses de François Hollande pour la jeunesse, lors de sa conférence de presse sur le « pacte de responsabilité » le 14 janvier. La politique de l’offre, de la baisse des « charges », les cadeaux aux entreprises, une solution, vraiment ? Quant aux « contrats de génération » et emplois d’avenir, pas de chance, à un an près, j’aurais pu accéder à un emploi précaire...

En sortant de mes études, j’avais bien conscience que la situation sur le « marché du travail » serait compliquée. Malgré les discours sur la sortie de crise et le « redressement », la précarité touche toujours une grande partie des jeunes, et puis le « développement social » n’est pas un domaine forcément très porteur professionnellement. Devant l’asphyxie financière des associations et des collectivités, les motifs d’inquiétudes sont présents. Pourtant, d’après une enquête publiée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, mon université, Lille 3, est classée cinquième université française pour l’insertion professionnelle des diplômés de Master en sciences humaines. Nous serions 91% à trouver un emploi dans les trente mois qui suivent l’obtention du diplôme. Allez, encore 25 mois à tenir...

« Continuer de faire de la jeunesse notre engagement majeur sur le quinquennat »

Il ne s’en cache pas le président : la jeunesse est un de ses engagements majeur. L’autre engagement majeur étant l’emploi, il y aurait donc matière à espérer un dénouement positif ! Le problème, c’est que je passe à travers tous les dispositifs décrits par François Hollande à cause de... mon âge. Pourtant, le ministère du Travail mesure l’emploi des jeunes sur la tranche d’âge des 15-29 ans. Mais à 26 ans, je suis trop vieux. A un an près j’aurais pourtant pu espérer décrocher un emploi précaire !

Les contrats de génération

« C’est pour la jeunesse que nous avons introduit le contrat de génération qui va rapidement monter en puissance ». Promesse de campagne du Président Hollande, les contrats de génération permettent aux entreprises de recruter des jeunes de moins de 26 ans contre une aide publique de 4 000 euros. Quand bien même mon âge ne m’aurait pas exclu de ce type de contrat, seul 20 000 contrats de génération ont été signés en 9 mois alors que l’objectif était d’en avoir signé 75 000 fin mars. Si j’étais travailleur handicapé, la limite d’âge serait repoussé à 30 ans.

Les emplois d’avenir

« C’est pour la jeunesse que nous avons créé 100 000 emplois d’avenir en 2013. Nous en ajouterons 50 000 en 2014. » Encore une fois, l’âge est un critère excluant. Les emplois d’avenir sont réservés aux jeunes de 16 à 25 ans, peu ou pas qualifiés, ainsi qu’aux personnes handicapés de moins de 30 ans. En plus d’être trop vieux, j’étais trop diplômé.

Le service civique

« Nous augmenterons le nombre de jeunes accueillis dans le service civique de 15 %. (...) A terme je veux que tout jeune qui veuille faire un service civique puisse y être accueilli ». La troisième partie de l’annonce du président pour l’emploi des jeunes concerne l’engagement de service civique : celui-ci permet aux jeunes, depuis 2010, de bénéficier d’une mission de six à douze mois en échange d’une indemnité versée par l’État. Comme pour les contrats de génération et les emplois d’avenir, le service civique est réservé aux jeunes de 16 à 25 ans. Si le service civique permet à des associations en manque de budget de recruter, il est devenu un sas de précarité pour beaucoup de diplômés. Et un bon moyen de faire diminuer artificiellement le chômage des jeunes en les occupant dans ces missions. Bac + 5 en poche, il faut désormais se contenter d’une « indemnisation » et d’un statut de « volontaire », à défaut de pouvoir trouver un emploi stable. Et à condition, encore, d’avoir moins de 25 ans.

Trop vieux pour être jeune, trop jeune pour être vieux

Devant toutes ces annonces, on prend un sacré coup de vieux. A 26 ans, je suis à l’âge charnière où la Mission locale me ferme ses portes, et où les dispositifs de l’État pour les jeunes me sont refusés. Et pas assez vieux pour faire le poids face à la concurrence, lors des trop rares entretiens d’embauches que j’ai pu décrocher depuis septembre.

Si les responsables politiques veulent cibler des tranches de la population pour réduire le taux de chômage, qu’ils ciblent ceux qui s’en mettent plein les poches, qui continuent de précariser l’emploi et de licencier au nom du profit et de la sacro-sainte compétitivité.

A force de précarisation, notre génération est devenue une génération sacrifiée. Avec deux pieds bien ancrés dans la galère, mêmes les plus diplômés sont prêts à accepter le volontariat, les stages sous payés, les services civiques, les emplois les plus précaires... Mais quelle alternative avons nous ? Devant le coût de la vie et le montant des loyers, la rue est très proche. La solidarité familiale redevient l’ultime filet de sécurité. Comment compter sur un RSA – 500 euros pour une personne seule –, presque deux fois inférieur au seuil de pauvreté (977 euros), pour financer un logement, une alimentation décente, des soins, des produits de première nécessité ? Face à des services publics, des systèmes de solidarité, des associations asphyxiées par l’austérité, François Hollande a montré le cap qu’il allait suivre jusqu’à la fin de son quinquennat : celui de la politique de l’offre, de la baisse des « charges », des cadeaux aux entreprises.

Quel résultat sur l’emploi ?

Si on prend les chiffres du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), l’État s’est engagé à hauteur de 20 milliards d’euros par an, pour faire baisser le « prix du travail ». Malgré le coût de la mesure – 85 milliards d’argent public sur cinq ans ! –, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) annonce que la contrepartie de 300 000 emplois promis par le Medef sera, au mieux, tenue pour moitié. 85 milliards pour 150 000 postes, cela donne un coût de 566 666 euros par emploi créé. De quoi se poser de sérieuses questions sur le grand compromis social entre l’État et le Medef, promis par le président de la République. Parfois, même dans les vieux pots, les confitures sont vraiment indigestes.

Benjamin Vandekerckhove

Photo : CC Philippe Leroyer (Manifestation devant France Télévision, 7 novembre 2013)